Dans la loi des séries, j'ai rencontré, à deux reprises, à quelques semaines d'intervalles, deux affaires présentant des similarités quant au problème de procédure posé.

L'appelant avait fait appel contre une société qui avait, au cours de la procédure de première instance (conseil de prud'hommes), fait l'objet d'un fusion absorption.

L'appel était dirigé contre cette société qui était donc dissoute.

Le jugement dont appel avait débouté le salarié, lequel a fait appel en omettant de procéder aux vérification qui lui auraient permis de constater cette fusion absorption, et donc la dissolution de la personne morale.

Evidemment, j'ai exploité l'incident.

Le CME n'ayant pas bien compris ce qui lui arrivait a rejeté le moyen. C'était plus simple.

Un déféré a été formé.

La chambre des déférés a bien vu qu'il existait une difficulté, mais n'a pas véritablement saisi le problème de procédure qui, il est vrai, n'est pas très évident.

Pour ratrapper l'appel mal engagé, nous avons eu droit, en substance, au fait que rien n'avait été dit en première instance, et la Cour a vu dans l'article 370 du CPC une issue acceptable.

Cette disposition prévoit que "à compter de la notification aui en est faite à l'autre partie, l'instance est interrompue par (...) la perte de la capacité à ester en justice".

Pour la cour, c'est l'incident qui vaut notification, et sans que cela soit dit, il est fait comme si c'est la notification qui emporterait les effets de la perte de capacité.

Il faut s'interroger pour quelles raisons une interruption est prévue.

Cela permet à celui qui subit une modification dans sa capacité, sa qualité, ses possibilités d'agir, de profiter d"une interruption de l'instance et donc du délai de péremption, voire du délai pour conclure en appel.

Cette interruption n'a d'intérêt que pour celui qui est "victime" de cette perte. L'autre partie peut - et doit - continuer à agir, notamment en mettant la procédure en état.

C'est la raison pour laquelle la jurisprudence a considéré que seul était bénéficiaire de cette interruption l'ayant-droits, le débiteur en procédure collective, etc.

Mais pour les parties, l'interruption ne leur profite pas, et la péremption continue de courir à leur égard.

Pour la même raison, le caractère non avenu du jugement ne peut pas être invoqué par toutes les parties, mais seulement par celui qui a profité de l'interruption (CPC, art. 372).

Et le cas échéant, la partie peut confirmer le jugement, ce qui sera le cas si le jugement lui est profitable.

Il n'en demeure pas moins que notification ou pas, la perte de capacité est effective, et les parties doivent faire avec.

Dans le cas d'un appel, l'appelant a la possibilité de vérifier si la partie qu'il intime existe. C'est à cela que sert la publicité.

Sinon, à quoi sert le BODACC, le registre du commerce ? A rien !

L'appelant devait donc diriger son appel contre la société absorbante, peu importe qu'il y ait eu non notificaiotn, et donc interruption de l'instance. Cette interruption (relative) de l'instance était sans conséquence sur le fait que la partie avait perdu sa capacité à ester.

A mon avis, dans les deux arrêts sur déféré, la cour d'appel est passé à côté du problème de procédure.

Mais finalement, est-ce une mauvaise affaire pour l'intimé ?

Sur le plan procéural, c'est dommage, car le problème reste entier avec ces deux arrêts qui ne m'ont pas convaincu que j'avais tort.

Mais cela ouvre un pourvoi en cassation avec l'arrêt sur le fond s'il est défavorable aux intérêts de l'employeur. C'est une cartouche procédurale.

Et je reste convaincu que la Cour de cassation aurait une lecture différente de cette difficulté de procédure. J'avoue qu'un pourvoi m'intéresserait, car je serais très curieux d'obtenir la position de la deuxième chambre...

 

J'accepte bien volontiers... non, pas volonteirs, mais je l'accepte quand même... que l'on me démontre que j'ai tort.

Même si j'ai quelques connaissances en procédure, je ne suis pas infaillible, je ne sais pas tout, loin s'en faut, et j'ai le droit d'avoir tort.

Mais là, franchement, je reste dubitatif.

C'est d'ailleurs ce qui me désole le plus dans ma pratique.

Il y a de beaux débats procéduraux, de vraies questions, qui méritent qu'on s'y attarde.

Les points de procédure sont parfois pointus, et c'est intéressant.

Mais comme un soufflet, ça retombe...

Il y a des moments de solitude lorsque vous constatez que celui qui vous écoute ne comprend pas ce que vous lui dites. Vous avez atteint un seuil, et tout ce qui dépasse part dans le vide...

C'est très souvent frustrant de lire les ordonnances, les arrêts sur déféré.

La qualité n'est pas à la hauteur de ce que l'on attend.

Et ce n'est que devant la Cour de cassation, notamment devant la 2e chambre, qu'il y a de quoi s'alimenter. Là, c'est du haut vol !

Personnellement, je ne garde jamais de jurisprudence émanant des cours d'appel. Je n'y met aucune valeur, car il y a malheureusement à boire et à manger... de tout et du n'importe quoi...

Je n'introduis jamais un incident auquel je ne crois pas, et je ne soutiens pas un argument auquel je ne souscris pas.

Malheureusement, de plus en plus, nous constatons que notre parole - ou nos écrits plus exactement - perdent de leur valeur.

Nous aimerions qu'il existe un a priori lorsque nous soutenons un point de procédure, non parce que nous sommes meilleurs, mais peut-être parce que nous avons davantage de recul en procédure.

Les incidents de procédure, les déférés, sont donc souvent source de déception.

Trop souvent, nous lisons des inepties. On nous assène des vérités que nous devons prendre comme tels, alors même qu'il s'agit d'aberrations sur le plan procédural : la disparition d'un lien d'instance fait perdre la qualité de partie, l'article 82-1 ne s'applique pas aux procédures en cours, le CME statuue sur les FNR pour les appels introduits à compter du 1er janvier 2021, la caducité doit être invoquée in limine litis, etc.

C'est peut-être la raison pour laquelle je prends plaisir à écrire sur la procédure. Non pas parce qu'il n'y aura personne pour me dire que je raconte des âneries, mais parce que cela permet d'aborder et de développer des points de procédure sans frustration.

Pareil pour les formations en procédure, qui permettent d'échanger avec des confrères qui - tout comme moi- s'interrogent. C'est pour quoi je prends davantage de plaisir à dispenser des formations qu'à plaider les incidents de procédure devant des magistrats qui savent nécessairement mieux que vous. Ce sont eux qui diront que vous avez tort... même si vous avez raison...

Pour ma part, je suis plein de doutes dans ce qui est pourtant ma spécialité, et j'espère que ça continuera ainsi...

 

Auteur: 
Christophe Lhermitte

Commentaires

Mon cher Confrère,

Mon cher Confrère,
vos billets sont souvent vifs, mais celui-ci semble même un peu nerveux, voire énervé. On sent comme une petite pointe de déception quelque part. Qui ne l’a pas partagée à la lecture de certaines décisions ?
Une fois revenue la sérénité intérieure, disons-nous que certains magistrats (certains … je reste dans un flou qui satisfera tout le monde) doivent de temps en temps se dire aussi : ‘’Trop souvent nous lisons des inepties’’.
Ceci dit, deux petites réflexions :
D’une part, j’avoue avoir eu l’impression de tout comprendre … non, de mieux comprendre notre état et ses contraintes lorsque je me suis formalisé, (un peu inspiré de P. Bourdieu ’’Ce que parler veut dire’’ Fayard 1982) ce qu’en définitive est le droit. Au bout du bout du compte, le droit … c’est ce que dit le juge. Et nous voici plongés dans des abîmes de modestie ; en même temps que rassurés sur notre incompétence.
Mais ceci, d’autre part, ne nous saurait nous empêcher de toujours penser et de refaire sans cesse le monde procédural, sans quoi cet état qui est le nôtre ne serait plus qu’un emploi, une fonction, voire une simple besogne. Et l’objet de votre ire contenue m’a rappelé une ancienne aventure devant la cour de Versailles, qui n’est pas sans rapport avec celle que vous nous contez. La situation était un peu inverse et il s’agissait de savoir à qui signifier de l’absorbée ou de l’absorbante. Les magistrats versaillais s’étaient effectivement (et évidemment) intéressés aux conséquences de la publication de l’opération; le conseiller, qui n’avait pas de preuve de la publication, avait validé la signification à l’absorbée ; sur déféré et avec plus d’élément, la cour avait constaté que la signification était irrégulière. Voilà de quoi atténuer votre sentiment de solitude !
Je renvoie pour le développement au commentaire qui en avait paru en notre Gazette préférée des 18-19 juillet 2001 (Sommaire p. 33) (la copie en est à votre disposition si vos archives ne remontent pas à cette époque lointaine).
Il n’y avait pas eu de pourvoi, mais on peut imaginer le sentiment qui eût prévalu quai de l’Horloge.
Votre bien dévoué confrère.

Portrait de Christophe Lhermitte

Mon cher confrère,

Mon cher confrère,
Effectivement, je me suis laissé emporter dans ce billet, l'espace d'un instant, par un énervement que je traîne depuis déjà quelques temps.
Mais vous avez raison, les inepties sont des deux côtés. Je ne sais pas pourquoi, mais cela me fait penser à Coluche : "Je ferais admirablement remarquer aux hommes politiques qui me prennent pour un rigolo que ce n'est pas moi qui ai commencé.". On pourrait s'interroger sur le fait de savoir qui a commencé ;-)
Blague à part, je vous remercie de votre réponse, et de votre réflexion qui ont fait mouche. Sincèrement, je vous en remercie.
Votre bien dévoué confrère,