La notion d’appel incident, incluant l’appel incident provoqué, n’est certainement pas la plus aisée.

Cet arrêt en est l’illustration, les juges d’appel étant passée complètement à côté, retenant une conception stricte de l’appel incident, qui aurait pour seul point de départ la notification des conclusions de l’appelant principal (Cass. 2e civ., 14 avr. 2022, n° 20-22.362, Publié au bulletin) :

« Vu les articles 910 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
7. Il résulte du premier de ces textes, interprété à la lumière du second, qu’est recevable dans le délai de trois mois à compter de la notification des conclusions portant appel incident l’appel incidemment relevé par un intimé contre un autre intimé en réponse à l’appel incident de ce dernier qui modifie l’étendue de la dévolution résultant de l’appel principal et tend à aggraver la situation de ce dernier.
8. Pour déclarer irrecevable l’appel incident de l’assureur formé par conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 25 novembre 2019, l’arrêt retient que l’assureur disposait, en sa qualité d’intimé à l’appel principal de M. [X], d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant, tant pour remettre ses conclusions au greffe que pour relever appel incident à l’encontre de la banque également intimée, des dispositions du jugement l’ayant condamné à payer à cette dernière la somme de 229 827,15 euros, les dispositions de l’article 910 du code de procédure civile permettant uniquement à l’assureur de répondre, dans les trois mois des conclusions de la banque, comme il l’a fait dans ses conclusions du 25 novembre 2019, à la demande de condamnation de la banque excédant celle prononcée par le tribunal, la lecture des dispositions des articles 909 et 910 du code de procédure civile se faisant au regard des dispositions de l’article 910-4 du même code qui imposent aux parties de présenter dans leurs conclusions mentionnées aux articles 905-2, 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions.
»

Mais en l’espèce, l’intimé n’était pas mis en danger dans sa situation procédurale par l’appelant principal. Il s’en rapportait donc sur cet appel qui ne menaçait pas ses intérêts.

Mais cet intimé savait que le danger était ailleurs, et émanerait d’un autre intimé qui, en l’état des conclusions de l’appelant principal, n’avait formé aucune demande contre cet intimé.

Ce n’est qu’après avoir conclu dans son délai 909, au rapport à justice, que cet intimé a reçu un appel incident.

Et c’est cet appel incident qui changé la donne, et mis l’intimé dans une situation menaçante.

Sur cet appel incident, l’intimé s’est alors porté appelant incident. C’est un appel incident provoqué par l’appel incident de l’autre intimé.

Et cet appel incident provoqué n’était pas enfermé dans le strict délai 909 de trois mois de la notification des conclusions de l’appelant principal.

On n’invente rien dans cet arrêt, sur la notion d’appel incident provoqué. Mais on précise dans quel délai il pouvait être formé.

Mais tout cela est logique ?

Pouvait-on imaginer d’exiger de l’intimé qu’il se porte appelant incident contre une partie qui ne lui demande rien ? Cela serait absurde, car au stade du 909, cet appel incident ne peut être provoqué, faute d’appel incident de la part de l’autre intimé. On ne peut exiger d’une partie qu’elle anticipe un appel incident qui n’est qu’hypothétique.

Au même titre, on ne pouvait exiger un appel principal de sa part, un tel appel principal étant irrecevable.

La solution est donc logique, comme souvent en procédure.

Cet appel incident aurait pu être dirigé contre l’appelant principal, sur un chef qui n’était pas dévolu, et sur lequel l’appelant principal n’aurait pas conclu dans son délai 908. Et alors, l’appelant principal, intimé sur appel incident provoqué, aurait pu répondre à cet appel incident, voire se porter appelant incident provoqué sur appel incident provoqué… ?

Et oui, les appels incidents sont parfois compliqués, et ne résument pas nécessairement à un appelant et un intimé.

Mais cela ne date pas d’hier, et Magendie n’a mis que des délais sur ces notions de procédure anciennes.

Autre point à souligner, qui intéressera la jurisprudence sur la dévolution, et plus précisément sur l'absence d'effet dévolutif, cette précision selon laquelle l'appel peut étendre la dévolution résultant de l'appel principal. Cela peut paraître évident, mais il me semble avoir entendu certains juges d'appel se poser la question de savoir si l'intimé peut se porter appelant incident si l'acte d'appel n'opère pas dévolution... Or, il n'a jamais été imposé que l'appel incident devrait s'inscrire dans la dévolution opéré par l'appel principal. Et si d'aucuns en doutaient encore, nous avons ici une réponse.

Auteur: 
Christophe Lhermitte