L'arrêt est long, mais je le reprends in extenso (Cass. 2e civ., 17 nov. 2022, n° 21-16.185, Publié au bulletin) :

« Réponse de la Cour
7. Il résulte des dispositions combinées des articles 932 et 1032 du code de procédure civile qu’en matière de procédure sans représentation obligatoire, la saisine de la cour d’appel de renvoi s’effectue conformément aux formes prescrites pour l’exercice du droit d’appel en cette matière (3e Civ., 11 février 2016, n° 13-11.685, publié).
8. Selon l’alinéa 1er de l’article 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, la décision du bâtonnier est susceptible de recours devant le premier président de la cour d’appel, qui est saisi par l’avocat ou la partie, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Le délai de recours est d’un mois.
9. Selon l’article 748-1 du code de procédure civile relatif à la communication par voie électronique qui figure au sein de dispositions communes à toutes les juridictions, les envois, remises et notifications des actes de procédure, des pièces, avis, avertissements ou convocations, des rapports, des procès-verbaux ainsi que des copies et expéditions revêtues de la formule exécutoire des décisions juridictionnelles peuvent être effectués par voie électronique dans les conditions et selon les modalités fixées par le présent titre, sans préjudice des dispositions spéciales imposant l’usage de ce mode de communication.
10. Aux termes de l’article 748-6, les procédés techniques utilisés doivent garantir, dans des conditions fixées par arrêté du garde des Sceaux, ministre de la justice, la fiabilité de l’identification des parties à la communication électronique, l’intégrité des documents adressés, la sécurité et la confidentialité des échanges, la conservation des transmissions opérées et permettre d’établir de manière certaine la date d’envoi et celle de la mise à disposition ou celle de la réception par le destinataire.
11. Il résulte de l’alinéa 1er de l’arrêté du 5 mai 2010 relatif à la communication par voie électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d’appel, qui vise les articles 748-1 à 748-6 du code de procédure civile, que lorsqu’ils sont effectués par voie électronique entre auxiliaires de justice assistant ou représentant les parties ou entre un tel auxiliaire et la juridiction, dans le cadre d’une procédure sans représentation obligatoire devant la cour d’appel, les envois et remises des déclarations d’appel, des actes de constitution et des pièces qui leur sont associées doivent répondre aux garanties fixées par le présent arrêté.
12. Sous l’empire de ces dispositions, la Cour de cassation a jugé qu’étant porté devant le premier président de la cour d’appel, le recours formé, en application de l’article 176 du décret du 27 novembre 1991, contre la décision du bâtonnier statuant en matière de contestations d’honoraires et débours n’entre pas dans le champ d’application de l’arrêté du garde des Sceaux du 5 mai 2010, relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d’appel, tel que fixé par son article 1er (2e Civ., 6 septembre 2018, pourvoi n° 17-20.047, Bull. 2018, II, n° 165).
13. L’arrêté précité a été abrogé par l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication électronique en matière civile devant les cours d’appel.
14. Selon l’article 2 de ce dernier arrêté, lorsqu’ils sont effectués par voie électronique entre avocats, ou entre un avocat et la juridiction, ou entre le ministère public et un avocat, ou entre le ministère public et la juridiction, dans le cadre d’une procédure avec ou sans représentation obligatoire devant la cour d’appel ou son premier président, les envois, remises et notifications mentionnés à l’article 748-1 du code de procédure civile doivent répondre aux garanties fixées par le présent arrêté.
15. L’article 24 dispose que le présent arrêté entre en vigueur à la date de sa publication à l’exception des dispositions de l’article 2, en ce qu’elles portent sur la transmission des actes de procédure au premier président de la cour d’appel, qui entrent en vigueur le 1er septembre 2020.
16. La déclaration de saisine ayant été effectuée le 6 avril 2020, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que les textes relatifs à la communication électronique issus de l’arrêté du 20 mai 2020 ne s’appliquent pas à cette procédure.
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
17. La société fait le même grief à l’ordonnance, alors « que le droit d’accès à un tribunal, composante du droit à un procès équitable, ne peut être limité par des règles procédurales que dans la mesure où elles ne privent pas ce droit d’effectivité ; qu’en privant la société Blanchisserie Roncaglia de la faculté de saisir le premier président par le moyen de communication électronique sécurisé dont disposait son avocat, le premier président a porté une atteinte disproportionnée à son droit d’accès au juge et ainsi violé l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. »
18. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, le droit d’accès à un tribunal doit être « concret et effectif » et non « théorique et illusoire ». Toutefois, le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle par nature une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Cette réglementation par l’État peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6, § 1, que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (notamment CEDH Zubac c/ Croatie, 5 avril 2018, requête n° 40160/12).
19. L’article 748-6 du code de procédure civile subordonne la faculté, offerte aux parties par l’article 748-1 du même code, de remettre par la voie électronique la déclaration de recours prévue par l’article 176 susmentionné, à l’emploi de procédés techniques garantissant, dans des conditions fixées par arrêté du garde des Sceaux, la fiabilité de l’identification des parties, l’intégrité des documents, ainsi que la confidentialité et la conservation des échanges et la date certaine des transmissions (2e Civ., 10 novembre 2016, pourvoi n° 15-25.431, Bull. 2016, II, n° 247).
20. La règle était prévisible. En effet, le recours formé en application de l’article 176 du décret du 27 novembre 1991 contre la décision du bâtonnier statuant en matière de contestations d’honoraires et débours devant le premier président n’entre pas dans le champ d’application de l’arrêté du garde des Sceaux du 5 mai 2010, applicable en l’espèce, et relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d’appel, tel que fixé par son article 1er (2e Civ., 6 septembre 2018, pourvoi n° 17-20.047, Bull. 2018, II, n° 165).
21. La circonstance qu’un arrêté soit intervenu le 20 mai 2020, abrogeant l’arrêté précité du 5 mai 2010 et qui est applicable, selon les dispositions transitoires, au 1er septembre 2020 pour la transmission des actes de procédure au premier président, ne saurait avoir pour effet de valider rétroactivement la transmission de la déclaration de recours faite en application de l’article 176 du décret du 27 novembre 1991, fût-elle effectuée par un avocat au moyen du réseau privé virtuel avocat, mais en dehors de toute prévision d’un arrêté du garde des Sceaux.
22. Cette sanction n’est pas disproportionnée et ne constitue pas un excès de formalisme portant atteinte à l’équité du procès, dès lors que, répondant aux objectifs de sécurisation de l’usage de la communication électronique, par des textes qui en réglementent les conditions, éclairés par un arrêt publié dans une procédure analogue, elle est dénuée d’ambiguïté pour un professionnel avisé comme un auxiliaire de justice lorsqu’il recourt à la communication électronique et ne le prive pas de la possibilité d’adresser au greffe la déclaration de recours dans les conditions prévues par l’article 176 du décret du 27 novembre 1991, lesquelles ne comportent aucun obstacle pratique.
23. C’est donc à bon droit qu’un premier président, qui n’était pas saisi de la déclaration de saisine, rejette l’argumentation prise de la violation de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en relevant que la saisine par lettre recommandée avec accusé de réception ne représente aucune difficulté technique particulière, surtout pour une partie représentée par un avocat.
»

La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de se prononcer dans le même sens, notamment lorsqu'il s'agissait de remettre des conclusions dans les procédures sans représentation obligatoire. Pour la Cour de cassation, c'était possible pour la DA, mais pas pour les conclusions.

Elle ne déroge pas ici.

C'était prévisible. Ca se tient sur le plan procédural.

Mais en pratique, on peut douter de l'opportunité.

Qu'est-ce qui change, techniquement, entre le 31 août 2020 et le 1er septembre 2020 qui rend plus sécurisés les échanges par voie électronique.

C'est ce genre de décisions que les avocats, et certainement aussi les magistrats, ne comprendront jamais.

Car ce n'est pas logique.

Cela dit, pour quelle raison avoir différé au 1er septembre 2020 l'entrée en vigueur de l'arrêté ? Le temps de créer une adresse électronique ? De mettre un ordi à disposition du greffe ?

Au passage, profitons d'un ptit coup de gueule à l'égard de greffes, et pas les plus petits, loin s'en faut, qui refusent les envois électroniques au premier président.

Il faut imaginer toute l'absurdité du truc : on peut postuler, en matière prud'homale, devant toutes les cours d'appel, mais il faut une remise papier - exigée mais contraire au texte - au greffe du premier président pour la requête aux fins d'être autorisé à assigner à jour fixe ?

C'est n'importe quoi de refuser un envoi électronique dans de telles conditions !!!

Voilà, c'est dit !

Auteur: 
Christophe Lhermitte