L'informatique est un outil magnifique, et la communication électronique est un indéniable confort au quotidien sur le plan professionnel.

C'est rapide, pas cher et sécurisé !

Avec un tel constat, nous avons envie de mettre de la communication électronique partout.

Mais attention, c'est pas si simple.

Le législateur a lui-même compliqué la chose.

Et la Cour de cassation, dont les voies sont parfois impénétrables, apporte également sa part à l'édifice... qui peut alors relever davantage du bazar que de la cathédrale gothique.

 

La genèse...

Dans les textes, nous parlons depuis de longue date de la communication électronique.

N'oublions pas, en effet, que le titre LA COMMUNICATION ELECTRONIQUE, dans le Code de procédure civile, est issu d'un décret du... 28 décembre 2005 ! Oui, il y a de cela 13 années !

Pour vous situer, en 2005, votre PC tournait sous Windows XP et votre Mac sous Tiger (sauf erreur, c'est le début de la possibilité de faire tourner une session Windows sous Mac, ce qui était inédit). Seuls 40 % des foyers avaient l'Internet chez eux ! La préhistoire, donc.

Les textes connaissaient donc ce nouveau mode d'échanges, mais en pratique, les juridictions ne communiquaient pas encore de cette manière, ou alors de manière balbutiante, isolément et à titre expérimental.

 

Les débuts de la communication électronique...

La Cour de cassation sera la première juridiction à véritablement communiquer de manière électronique, de manière anticipée, un arrêté de 2008 lui en donnant la possibilité.

Puis, ce sont les cours d'appel qui s'y sont mises.

 

Assez curieusement, c'est la procédure d'appel sans représentation obligatoire qui sera la première à avoir son arrêté technique permettant cette communication électronique, avec l'arrêté du 14 décembre 2009 auquel succède rapidement celui, toujours en vigueur, du 5 mai 2010.

 

Quant à la procédure d'appel avec représentation obligatoire, il faut se référer à l'arrêté du 30 mars 2011.

Je me rappelle encore les premières lectures de cet arrêté. C'était, à "l'époque", assez indigeste, je le reconnais. Ce n'est pas le genre de textes auxquels nous étions habitués.

Il nous imposait, à nous qui étions encore avoués - et en cours d'extermination - de former nos déclarations d'appel par voie électronique... à partir du 1er septembre 2011, pour les cours "pilotes" dont celle de Rennes.

Autant vous dire que c'est alors le branle-bas de combat pour mettre en place cette communication électronique, et un véritable défi relevé par des condamnés pour se mettre en ordre de marche.

Mais nous l'avons fait, sans loupés, car à coeur vaillant, rien d'impossible !

 

Une évolution progressive...

Cet arrêté du 30 mars 2011 a continué à évoluer au fil des années.

La communication électronique était imposée pour certains actes : l'acte d'appel et l'acte de constitution.

Puis, la simple possibilité pour d'autres actes de procédure a été ouverte : les conclusions.

D'ailleurs, avant que l'arrêté ne permettent cette remise des conclusions par voie électronique, une telle remise était irrecevable, ce qui avait échappé aux confrères et magistrats.

Pour info, les cours d'appel ont néanmoins reçu, avant même que le texte ne le permette, des envois de conclusions par voie électronique. Au cabinet, comme nous avions lu attentivement l'arrêté du 30 mars 2011, nous avions continué avec le papier... ce qui nous valait le regard noir ou médusé des personnels de greffe auxquels nous demandions d'apposer leur cachet humide. Bien entendu, il nous était répondu que l'envoi par voie électronique était suffisant, mais nous nous en tenions à notre position.

Et comme personne n'avait compris que notre position était la bonne, nous nous sommes gardés d'introduire des incidents sur ce motif. Mais il a existé une situation potentiellement explosive devant les cours d'appel, des milliers de conclusions ayant été remises de manière irrégulière aux greffe des cours d'appel.

Pour rappel, l'arrêt de la Cour de cassation du 1er novembre 2016 a confirmé cette lecture (voir le commentaire dans Dalloz Avocats de janvier ou février 2017).

 

... jusqu'à son terme...

Le 1er janvier 2013, c'est l'article 930-1 qui s'est pleinement appliqué, imposant la communication électronique pour TOUS les actes de procédure.

Certains confrères sont passés à côté, et ont négligé la lecture de l'arrêté du 30 mars 2011 et surtout de l'article 930-1. Ils ont procédé par voie papier alors qu'était imposée la voie électronique.

De mon côté, quitte à quelques bidouilles, j'ai pu passer outre les difficultés techniques pour respecter cet article 930-1 : tous mes actes de procédure sont remis par voie électronique depuis le 1er septembre 2013, absolument tous !

Cela me rendait plus serein pour introduire mes incidents de procédure sur ce motif.

Remercions les confrères malheureux pour avoir contribuer, à leurs dépens, à la construction de l'intéressante jurisprudence de la Cour de cassation sur la CPVE (communication par voie électronique).

 

Ce qu'il faut retenir de la jurisprudence de la Cour de cassation dans les procédures avec représentation obligatoire : tout relève de la CPVE.

 

Le lièvre et la tortue...

La procédure avec représentation obligatoire, qui est partie avec retard (arrêté du 30 mars 2011 vs arrêté du 5 mai 2010), est néanmoins arrivée à maturité la première.

C'est l'histoire du lièvre et de la tortue, à la différence que dans l'histoire, le lièvre finit pas franchir la ligne d'arrivée.

Pour la procédure sans représentation obligatoire, elle en est au même stade qu'en 2010. Et c'est donc toujours l'arrêté du 5 mai 2010, dans sa version initiale, qui continue de s'appliquer.

L'arrêté avait de l'avance. Il est devenu has been.

Ici encore, certains confrères se sont fait avoir. Mais il faut reconnaître que c'était plus subtil et je me garderai bien de leur jeter la pierre (ou le clavier pour rester dans le sujet).

Adoptant les réflexes acquis avec la procédure avec représentation obligatoire, ils ont procédé par voie électronique... alors que le texte ne le permettait pas toujours.

La Cour de cassation a pu se prononcer sur la question. La jurisprudence est strictement conforme au droit, mais elle semble tellement éloignée de la réalité et du mot d'ordre qui semble être "le tout électronique", que cette jurisprudence fondée en droit, est incompréhensible au regard du bon sens.

 

Ce qu'il faut retenir de la jurisprudence de la Cour de cassation dans les procédures sans représentation obligatoire : tout ne relève pas de la CPVE, et le bon vieux papier garde une place prépondérante.

 

Conclusion provisoire :

Tout cette construction se comprend au regard des textes.

C'est juridiquement cohérent, même si le bon sens fait défaut.

Pour la procédure avec représentation obligatoire, le législateur a fait évoluer progressivement jusqu'au 1er janvier 2013.

Mais la procédure sans représentation obligatoire a quant à elle été complètement oubliée par lui.

Il serait temps qu'un arrêté de 2010 évolue enfin pour être en phase avec la réalité. Cela étant, avec une procédure sans représentation obligatoire qui se réduit au fil des réformes à une peau de chagrin, une réforme risque de de venir sans objet.

 

Mais ça n'est pas fini...

Mais tout cela se complique, car les barreaux et les juridictions n'ont pas nécessairement saisi que les désirs de modernité devaient se concilier avec les textes applicables.

Ainsi, nous avons pu voir fleurir ici et là des conventions passées entre les ordres et les juridictions.

Personnellement, cela me choquait ses obligations sorties d'une convention et faisant fi des textes en vigueur !

Les conventions ne peuvent créer le droit. Elles doivent s'y conformer.

C'est aussi le bon vieux principe de la séparation des pouvoirs.

Le texte, c'est le législateur et lui seul... encore que sur ce point, la Cour de cassation prend quelques libertés...

La Cour de cassation a pu dire ce qu'elle pensait de ces initiatives, qui partaient certainement d'une volonté de bien faire et d'être moderne, mais qui avaient juste négligé l'état des textes.

La sanction est tombée, inévitablement, pour sanctionner ces pratiques.

Les conventions ne valent rien dès lors qu'elles dépassent ce que le texte permet.

 

... et comme c'est encore trop simple, il faut compliquer...

Jusqu'alors, nous comprenons bien la logique, même si ce n'est pas toujours simple. Cette logique existe.

 

C'est alors que la Cour de cassation a semé le trouble, en faisant du premier président de la cour d'appel une juridiction à part, très à part.

Alors que je considérais que le premier président faisait partie de la cour d'appel, la Cour de cassation vient nous dire le contraire.

Ce qui me rassure, c'est que je n'étais pas le seul à me fourvoyer.

Les arrêtés techniques, que ce soit celui du 5 mai 2010 ou celui du 30 mars 2011, ne s'appliquent pas. C'est la Cour de cassation qui nous l'a dit à plusieurs reprises, et qui s'attache à ce qu'il en soit ainsi.

 

Comme j'essaie de comprendre, je reprends mon Code de procédure civile - il n'est jamais très loin.

J'y vois que le premier président est situé dans le traitre VI concernant les DISPOSITIONS PARTICULIERS A LA COUR D'APPEL.  Et dans le Code de l'organisation judiciaire, les dispositions relatives au premier président sont situées dans le titre concernant la cour d'appel.

Donc, dans les textes, le premier président n'est pas traité à part. Il fait partie de la cour d'appel.

 

Un texte qui concerne les procédures devant les cours d'appel, dont il fait partie, devrait donc le concerner, et lui être applicable.

Mais, de manière incompréhensible en ce qui me concerne - mais je sais ne pas être seul, ouf ! -, la Cour de cassation fait du premier président une juridiction à part, qui ne semble pas relever de la cour d'appel.

Les conséquences ne sont pas anodines puisqu'il en ressort que la communication électronique ne lui est pas applicable.

A aucun moment...

... enfin si, parfois tout de même.

 

L'exception à l'exception de l'exception...

Ben oui, parce que nous avons tout de même un article 959 du CPC qui renvoie expressément à 930-1 du CPC. Tiens, étrange, c'est un renvoi à une dispositions concernant les cours d'appel. Donc le premier président fait parfois partie de la cour d'appel.

Donc, le principe de cette exception concernant les cours d'appel, c'est : pas de CPVE pour le premier président, sauf pour les ordonnances sur requête.

Mais pas toutes les ordonnances sur requête. Celles qui relèvent de l'article 958.

 

Généralement, à ce stade du raisonnement, j'ai perdu tout le monde. Je continue donc seul mon raisonnement, que moi-même je ne comprends pas.

 

Et ça continue...

C'est compliqué !

Et bien ça continue de se compliquer.

Barreaux et juridictions ne semblent pas tous avoir saisi la subtilité du truc... et je les comprends.

Pensant bien faire, et faisant preuve d'une modernité ultime, des cours d'appel se vantent désormais d'avoir mis le référé premier président... sous l'ère de l'électronique.

Waouh ! Super ! sauf que...

 

On leur dit que ce sont eux qui vont prochainement participer, à leur dépens, à poursuivre la construction de la jurisprudence de la Cour de cassation ?

Non ! Ca nous fera de la jurisprudence.

 

Conclusion, la vraie :

En attendant - et je m'adresse principalement aux confrères -, pensez par vous-même et méfiez-vous des évidences.

Même si on vous offre une pomme, ne la croquez pas avant d'avoir vérifié qu'elle n'est pas empoisonnée. Car c'est uniquement dans les contes que vous allez rencontrer le prince charmant ou une bande de nains pour vous sortir d'affaire... prince charmant qui au demeurant ne l'est pas tant que ça, si l'on regarde ce qu'il fat dans la version originale de l'histoire (ce qui doit faire réfléchir d'autant)...

Donc, méfiance, méfiance, et encore méfiance !

 

Magendie, c'est pas Disney !

 

 

 

NB : je n'ai pas cité les arrêts qui sont facilement retrouvés sur Légifrance notamment, et pensez à consulter les écrits de Corinne Bléry qui est à l'origine de nombreux articles et commentaires sur ce sujet dont elle est passée experte

Auteur: 
Christophe LHERMITTE

Commentaires

Quel plaisir de vous lire !
Vos articles sont un véritable réconfort, une thérapie du désespoir, un remède à la révolte contre toutes les incohérences qui nous sont imposées dans le cadre de notre exercice professionnel, en particulier celles relevant
de la procédure. Surtout continuez !

Je ne sais pas répondre. Alors, merci beaucoup. Et je m'engage à continuer !

Mon Cher Confrère,

" j'y vois que le premier président est situé dans le TRAITRE VI..." ce lapsus calami nous révèle oh combien cette procédure et les textes sont piégeux ! çà me fait penser à cette vieille série " le prisonnier ", cette homme rebaptisé numéro 6, enlevé et emprisonné sur une île inconnue à l'ambiance plutôt étrange,

Merci pour vos articles et cette volonté affirmée de venir en aide aux confrères,

VBD

Oh le beau lapsus !

Merci par ailleurs pour votre retour.

VBD

CL

Bon résumé, cher Christophe, avec ton style empreint de "vécu". Et merci pour le NB.
Amitiés.
C.