En droit, les mots ont un sens.

En procédure, c'est encore plus vrai.

Je me rappelle ainsi, une affaire (c'était dans une autre vie, j'étais encore avoué) dans laquelle huissier et avocat s'étaient fourvoyés et avaient confondu notification et signification. S'agissant d'une astreinte définitive de 1 000 euros par jour sur deux mois, à compter de la signification, cela aurait dû coûter 60 000 euros au client. Mais fort heureusement, personne n'avait rien vu, alors que le jugement avait été notifié par le greffe mais nullement signifié et l'astreinte a pu être liquidée à 60 000 euros, ce que le juge n'aurait pourtant pas du pouvoir faire.

De même, il ne faut pas confondre un jugement définitif et un jugement irrévocable, ce qui peut avoir des conséquences en matière de sursis à statuer, et donc de péremption, ou pour les intérêts au double du taux légal en matière d'assurance.

Tout ça pour dire qu'il faut être précis dans les termes utilisés.

Ici, point de procédure civile.

Nous fleuretons même presque avec le people.

 

Nous entendons et lisons partout que LE chanteur français, à savoir Johnny Hallyday, disparu il y a deux mois, a "déshérité" ses enfants, Laura SMET et David HALLYDAY, tout ça à cause de la méchante Laetitia HALLYDAY qui a manipulé son défunt époux.

Mais ce faisant, sans le savoir, ceux qui utilisent ce terme prennent position.

 

Pour déshériter, il faut avoir eu la qualité d'héritier. Et un héritier est celui qui doit recevoir, ou qui a reçu.

Donc, lorsqu'on parle de "déshériter", cela suppose que les enfants avaient cette qualité d'héritiers.

Toutefois, cela implique que l'on se place sous l'angle du droit français, qui donne aux enfants une telle qualité.

En effet, en France, les enfants sont héritiers. Ils doivent donc recevoir du défunt, sans que le parent puisse en décider autrement.

Or, toute la question juridique sera celle de savoir si le défunt pouvait relever du droit californien ou si c'est le droit français qui s'applique, au regard principalement de sa résidence.

Pour le droit californien, il apparaît que les enfants ne sont pas nécessairement héritiers sauf si le défunt souhaite qu'il en soit ainsi. En cela, il diffère de notre droit.

La question n'est donc pas celle de savoir s'il était possible de déshériter ses enfants, mais celle de savoir si le défunt pouvait se placer sous le droit californien pour rédiger ses dispositions testamentaires.

Si c'est le droit français - ce dont nous pouvons peut être a priori douter -, les enfants sont héritiers et ont donc effectivement été déshérités.

Si c'est le droit californien - ce que les enfants doivent certainement craindre, et ce qui explique comment ils ont très adroitement agi pour mettre les médias et l'opinion dans leur poche -, alors les enfants n'ont pas cette vocation à hériter, de sorte qu'ils n'ont pas été déshérités. Ils ne sont tout simplement pas héritiers, de sorte qu'ils ne sont pas déshérités. On ne peut leur enlever un droit qu'ils n'ont pas.

 

Donc, il faudrait arrêter de parler de "déshéritage". Pour être plus exact - mais c'est aussi moins vendeur - il faudrait dire que Johnny HALLYDAY, dans son testament, a voulu ne rien laisser de son patrimoine à ses enfants Laura SMET et David HALLYDAY, et que se posera la question de savoir s'il pouvait le faire selon qu'il relevait du droit français ou s'il pouvait opter pour le droit californien.

Mais reconnaissons que les conseils des enfants, quels qu'ils soient, ont été très adroits, puisqu'ils ont réussi à faire en sorte que tout le monde reprenne ce terme inexact.

Du grand art dans la manipulation des esprits et de l'opinion puisque tout le monde prend position tout en croyant faire preuve d'objectivité. Ben oui, le terme "déshérité" est très marqué, et choque nécessairement les esprits.

A cet égard, la lettre présentée comme rédigée par Laura SMET à l'intention de son père était remarquable dans la forme et le fond. C'est mieux qu'un communiqué, alors que c'en est un, mais ça permet de mettre du pathos et de déplacer le différend sur le terrain de l'affectif, du privé...

 

 

 

Auteur: 
Christophe LHERMITTE