Alors, là, danger !
A priori, si l’on m’avait interrogé sur cette question, j’aurais très probablement donné une réponse incompatible avec cet arrêt (Civ. 2e, 11 septembre 2025, n° 22-20.458) :
« Vu l'article 6,§ 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 910-4 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 :
4. Selon le premier de ces textes, le droit d'accès au juge peut être limité à la seule condition que les mesures mises en oeuvre poursuivent un but légitime, soient proportionnées au but visé et n'aient pas pour effet de restreindre cet accès d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même.
5. Selon le premier alinéa du second, à peine d'irrecevabilité, les parties doivent présenter, dès les premières conclusions, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. Selon le second alinéa du même texte, demeurent cependant recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer au conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions, nées postérieurement aux première conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
6. Il découle de l'ensemble de ces dispositions que, sauf dans les cas prévus à l'alinéa 2 de l'article 910-4 du code de procédure civile, lorsqu'une prétention présentée dans les premières conclusions est reprise dans les dernières avec une majoration de son montant, elle n'est recevable qu'à concurrence du montant fixé dans les premières conclusions.
7. Pour déclarer irrecevable la prétention de M. [K], l'arrêt retient, au visa de l'article 910-4 du code de procédure civile, que c'est à tort que l'appelant demande à la cour d'appel, dans ses dernières conclusions, la condamnation de l'intimée à lui payer la somme de 11 453,91 euros qui constitue une demande financière nouvelle.
8. En statuant ainsi, alors que l'appelant avait présenté dès ses premières conclusions une prétention tendant à voir liquider et partager les communauté et indivision à une certaine somme dont il avait majoré le montant dans ses dernières conclusions, ce dont il résultait que la demande était recevable à concurrence du montant demandé initialement, la cour d'appel a violé les textes susvisés. »
La partie ne peut pas, sauf exception tenant à une évolution, voire en réponse à un appel incident, modifier le montant d’une demande contenue dans les premières conclusions.
Il ne s’agissait pas de former une nouvelle demande par rapport aux premières conclusions, mais bien de modifier le quantum.
Pour rappel, la Cour de cassation a déjà dit que la partie peut modifier en appel le quantum de ses demandes, ce qui n’est pas vu comme une demande nouvelle au regard de l’article 564 du code de procédure civile.
Un parallèle rapide, avec un soupçon de souplesse, nous permettait a priori de considérer qu’il en irait de même entre les premières et les secondes conclusions.
Et personnellement, je n’aurais jamais tenté de soulever un moyen de procédure et donc d’opposer le principe de concentration.
C’est extrêmement piégeux.
Bien entendu, lorsqu’il s’agira d’actualiser, cela ne posera pas de problème puisque cette évolution existera. Mais encore faudra-t-il que cette évolution soit postérieure au délai pour conclure ; sinon, c’est mort.
Sera-t-il possible d’échapper à la sanction ?
Un ajout de la mention « sauf à parfaire » suffira-t-elle ? Alors là, j’en doute carrément. Ça a certainement autant de valeur que le « sous toutes réserves » qui abonde inutilement depuis des décennies et qui n’a strictement aucune valeur depuis 50 ans.
Dans le doute du montant, il faudra donc taper au plus fort, quitte à diminuer dans les prochaines conclusions, ce que la Cour de cassation admet.
Le problème pourra se poser pour celui qui, par erreur, a indiqué un montant erroné.
Alors, oui, il reste toujours possible de soutenir que les conclusions contenaient une erreur purement matérielle.
Mais cette discussion ne se fera pas sans un stress quant à l’accueil qui sera fait d’une telle argumentation, même elle me paraît a priori soutenable.
Quels conseils donner ?
Déjà, dans le doute d’un quantum, on fait au plus haut, en ajoutant un zéro s’il le faut car il sera possible de revoir à la baisse, mais pas à la hausse.
Et pour ceux qui assurent la postulation, il faudra surveiller si le dispositif a été modifié quant au montant, et le cas échéant soulever la difficulté…
… et évidemment, celui qui modifie le montant aura tout intérêt à rester discret, en évitant par exemple de mettre un trait en marge dans le dispositif à l’endroit où le montant a été modifié… autant ne pas trop appeler l’attention…
En définitive, un arrêt que l’on peut comprendre, mais dont la rigueur peut étonner, tant nous n’y étions pas spécialement habitués.