Peur

Comme tout avocat, j'ai eu connaissance d'un arrêt de Douai du 1er octobre 2015 qui semble-t-il fait trembler les avocats... ou tout au moins ceux dont la pratique leur fait fréquenter les juridictions d'appel.

Bon, je ne suis pas doté d'une insensibilité anormale, mais je dois reconnaître que la lecture de cette décision ne m'a fait ni chaud ni froid, et je n'ai pas changé ma façon de faire concernant le paiement de la taxe fiscale.

Donc, même pas peur !

Mais est-ce de l'inconscience de ma part ? Comme celle que nous rencontrons très souvent à l'occasion de nos nombreux incidents de procédure, face à un adversaire qui ne sent pas nécessairement que ça sent le chaud dans le coin ?

Mais non, mais non !

Mais de quoi s'agit-il donc, me diront certains ? Et qu'en pense-je ? ... et j'ai conscience du caractère prétentieux de cette dernière interrogation qui part du postulat de départ que quelqu'un s'intéresse à ce que j'en pense.

Tout d'abord, je précise qu'il s'agit d'un arrêt de Douai qui a déclaré un appel irrecevable pour non paiement de la taxe fiscale de 225 euros.

 

Rapidement, sans m'être trop penché sur la question, je vous livre ma thèse.

Elle vaut ce qu'elle vaut, et les commentaires sont les bienvenus pour en discuter.

 

A mon avis, il faut distinguer les sanctions du décret dit Magendie de celles tenant au paiement de la taxe fiscale. Dans celles-ci, la finalité est de remplir les caisses, pas de mettre fin prématurément à des procédures d'appel. Ce n'est du reste pas pour rien que les parties ne peuvent soulever ce moyen d'irrecevabilité.

la finalité des textes prévoyant le paiement d'une taxe fiscale est de remplir les caisses, pas de mettre fin prématurément à des procédures d'appel

Cette irrecevabilité de l'appel connaît deux "recours", dont l'un est la possibilité de rapporter la décision en cas d'erreur, et un déféré... dans les cas où il n'y a pas erreur, donc.

S'il n'y a erreur de la part du magistrat, c'est qu'il avait statué de manière conforme. Cela laisse la possibilité de se rattraper en payant le timbre. Ainsi, les caisses sont contentes, et tout le monde est content. Smile !

le déféré laisse la possibilité de se rattraper en payant le timbre

De plus, une irrecevabilité est une fin de non-recevoir, "régularisable" jusqu'à ce que le juge statue (CPC, art. 126). Il est donc possible de régulariser au cours de la procédure sur déféré.

une irrecevabilité est une fin de non-recevoir, "régularisable" jusqu'à ce que le juge statue

 

C'est peut-être aussi à rapprocher d'un arrêt de la Cour de cassation, de mémoire du 29 janvier 2015... ou pas loin..., sur les articles 960 et 961 du CPC.
De mémoire, je crois que Aix avait admis une régularisation en cours de déféré.
Je suis d'avis que la Cour de cassation - mais l'on sait ce que valent les pronostics en la matière... - devraient être plutôt arrangeante sur cette question de l'irrecevabilité pour non paiement de la taxe, en permettant une régularisation de cette irrecevabilité provisoire.
Mais ce n'est que ma lecture à froid, donc sous toutes réserves... ;-)

 

Et comme le disait encore cette semaine un magistrat à qui une partie opposait un arrêt d'appel : "Ce n'est qu'un arrêt de cour d'appel !".

Et il suffit de constater le nombre d'arrêts cassés pour prendre avec les plus grandes réserves ce qui est avancée comme constituant la jurisprudence en procédure civile. Il est rappelé que certaines cours d'appel ont pu appliquer les délais 908 et 909 aux procédures 905, ont admis des pièces d'une partie irrecevable à conclure au fond, ont estimé que l'intimé qui n'avait pas reçu communication des pièces de l'appelant n'avait pas vu son délai commencer à courir, ont retenu que la sanction de l'irrecevabilité ou de la caducité de la déclaration d'appel était contraire à l'article 6 de la CEDH, que la caducité de l'article 902 ne pouvait pas être relevée d'office, qu'une partie irrecevable à conclure retrouvait son droit de conclure dès lors que l'appelant concluait à nouveau ou communiquait des pièces, etc.

Toutes ses décisions de cours d'appel, dont beaucoup n'ont pas fait l'objet d'un pourvoi, sont devenues irrévocables. L'on sait pourtant ce qu'elles valent sur le plan jurisprudentiel.

Et la plus grande prudence doit même être de rigueur à l'égard des avis de la Cour de cassation dont nous savons qu'ils peuvent être remis en cause par un arrêt de la Cour de cassation.

 

Edition du 11 janvier 2015 :

Et pour télécharger l'arrêt : CA Douai 1er octobre 2015

Auteur: 
Christophe LHERMITTE