Comme il n'y a pas de raisons que nous soyons les seuls à rire, nous vous faisons profiter des perles de procédure dont nous sommes les témoins.

Et cette perle émane aujourd'hui d'un courrier adressé au Conseiller de la mise en état, et rédigé en ces termes (j'ai repris les gras et souligné d'origine) :

"Monsieur le Conseiller,

Dans ce dossier, l'ordonnance de clôture est prévue pour le 5 janvier 2016, et les plaidoiries le 22 mars 2016.

Les dernières diligences effectuées sont des conclusions que j'ai prises le 18 octobre 2013.

Depuis cette date, soit depuis plus de 2 ans, aucune écriture n'a été enregistrée.

L'avis de fixation ne me paraît pas constituer une diligence des parties.

Dans ces conditions, il me semble que la caducité de la procédure doit être relevée d'office, sans que l'affaire n'ait à être clôturée ou plaidée".

 

Pour la forme, c'était déjà pas terrible, mais sur le fond, c'est à mourir de rire.

Je crois que le bon vieux Code de procédure est interdit de séjour chez notre consoeur, ou alors elle s'est fait refiler une version piratée du CPC. C'est vrai que le Code est cher à l'achat (71 euros en ce qui me concerne pour le rouge), mais il est hautement recommandé d'éviter tout réseau parallèle au risque sinon de récupérer une version buggée.

"il me semble que la caducité de la procédure doit être relevée d'office, sans que l'affaire n'ait à être clôturée ou plaidée"

Que pensez de ces quelques lignes qui, je dois le reconnaître, nous ont bien fait rire au cabinet ?

Nous ne sommes pas, encore une fois, dans les subtilités de la procédure civile. Il s'agit de notions de base, que tout étudiant qui a suivi un minimum de cours de procédure civile se doit de connaître.

 

Sur la forme
  1. On enregistre un film sur sa box, voire un CD pour les ténors du barreau qui ont de la voix, mais pas des conclusions. "Pas de conclusions régularisées" me semblaient être des termes plus appropriés. Mais bon, on comprend quand même, mais c'est toujours dommage de ne pas utiliser les termes de procédure quand on parle procédure...
  2. On ne prononce pas la caducité d'une procédure. La caducité sanctionne un acte, pour lequel l'évènement attendu n'est pas intervenu. Il en est ainsi par exemple de la citation non remise au greffe dans le délai imparti. Cette caducité de l'acte emporte l'extinction de l'instance.
  3. On clôture son jardin, mais pas une affaire. Le verbe est "clore", non "clôturer". Bon, j'admets que c'est plus difficile à conjuguer qu'un verbe du premier groupe, mais ce n'est pas une raison ! Et il y a des "conjugueurs" disponibles.
  4. La clôture est celle de l'instruction, ce qui met fin alors à tout échange de conclusions et de pièces. On ne prononce donc pas la clôture de l'affaire, mais celle de l'instruction.

 

Sur le fond

Comme dans tout bon sketch, tout est dans la chute.

Ca part relativement bien, et on voit bien où veut aller la consoeur.... sauf qu'elle n'ira pas...

Notre consoeur n'a-t-elle jamais entendu parler de péremption ?

La péremption et la caducité sont tout de même des notions fort éloignées, de sorte que les risques de les confondre sont aussi probable que de me confondre avec Babar...

Que vient faire dans cette histoire cette "caducité" qui ne pourrait que sanctionner un acte de procédure ? Comment est-ce possible d'invoquer une telle notion ?

Délai de deux ans... caducité... ?!?

J'avoue qu'il y a là un raisonnement qui m'échappe.

C'est évidemment la péremption qu'il convenait d'invoquer.

Mais alors, qui ignore que la péremption ne peut pas être relevée d'office ? Comment alors écrire au magistrat de la mise en état pour qu'il soulève d'office l'absence de diligences durant deux ans ?

Cette péremption obéit à un régime bien particulier, et il en est de même en appel et en première instance. La seule différence en appel concerne les conséquences de la péremption, beaucoup plus sévères.

Si c'est bien le conseiller de la mise en état qui a compétence pour constater cette péremption, et prononcer en conséquence l'extinction de l'instance - au passage, rappelons que la péremption est, au sens procédurale strict, un incident mettent fin à l'instance - il faut le saisir de ce moyen. Des conclusions d'incident auraient été préférables.

 

En revanche, reconnaissons que, effectivement, un avis de fixation n'est pas une diligence des parties. C'est bien vu ! Une diligence des parties doit émaner... des parties...

Mais c'est l'occasion de rappeler la jurisprudence assez récente de la Cour de cassation qui considère que dès lors que l'affaire a reçu un calendrier de fixation, les parties ne sont plus tenues de procéder à des diligences pour interrompre la péremption.

 

Ce courrier a été l'occasion de quelques rappels en procédure. C'est toujours intéressant.

Mais la consoeur aurait été bien inspirée d'ouvrir au préalable son Code de procédure civile, cela lui aurait peut-être évité de telles énormités... et je ne doute pas un seul instant que la réaction du magistrat de la mise en état à réception de ce courrier aura été la même que la mienne ce soir.

Mais quand on donne le bâton pour se faire battre...

Auteur: 
Christophe LHERMITTE

Commentaires

Je suis en effet mort de rire .

Je cherchais un renseignement sur ce qu'est un avis de fixation et je tombe sur un forum de blagues réservé à des initiés.

En plus avec un côté misogyne affirmée tout plus du tout dans l'esprit du temps.

Je sais que chaque profession a son jargon, mais tout le monde ne connait pas les détails de toutes les procédures, même avec une longue expérience professionnelle.

Bien à vous