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La question ne se pose pas tous les jours, mais lorsqu'elle se pose, elle a son importance.

Il a été abordé le problème de la recevabilité des décisions de refus de changement d'expert ici et ici. Ce n'est pas de cela qu'il sera question.

En l'espèce, il s'agit du problème du maintien de la procédure d'appel si, entre temps, l'expert dépose son rapport.

Par arrêt, non publié - c'est à mon avis important de le préciser - la Cour de cassation a pu juger que l'appel du jugement de refus de changer l'expert devient sans objet dès lors que le rapport d'expertise a été déposé en cours de procédure (Cass. 6 avril 2006).

Cet arrêt de cassation est unique, à ma connaissance. Il peut être considéré comme un arrêt isolé n'ayant fait l'objet d'aucune publicité de la Cour de cassation. Il est rappelé au besoin que c'est la Cour de cassation qui décide des décisions qui seront publiées notamment au Bulletin de la Cour de cassation (P+B).

En l'état, la Cour de cassation n'a pas décidé d'en assurer une large diffusion, ce qu'elle aurait fait en prévoyant sa publication. Elle a décidé le contraire, décidant ce faisant de laisser cet arrêt de 2006 au stade de la décision isolée, voire de l'arrêt d'espèce ?

Dès lors, il est permis de s'interroger sur la portée de cette jurisprudence, et s'il doit être considéré qu'elle est arrêtée sur cette question.

La problématique est la suivante : admettre que le dépôt du rapport d'expertise en cours d'appel rend sans objet le recours est préjudiciable à qui subit les lenteurs d'un expert dont il demande le remplacement.

L'expert peut ainsi être amené à précipiter le dépôt de son rapport, du fait de l'appel, après que l'expertise ait subi des longueurs.

Ainsi, cela revient à rendre impossible l'appel de ce genre de décisions, et tous les recours se solderaient immanquablement en des appels devenus sans objet, sauf à obtenir que la cour d'appel statue de toute urgence, avant que l'expert n'ait eu le temps de déposer son rapport. L'appel devient alors une course contre la montre, et plus précisément contre la montre de l'expert...

admettre que le dépôt du rapport d'expertise en cours d'appel rend sans objet le recours revient à rendre impossible tout recours contre ces décisions de refus de changement d'expert

Cette jurisprudence de la Cour de cassation de 2006 semble contrevenir au principe même du droit d'appel des décisions refusant un changement d'expert.

Est-ce la raison pour laquelle la Cour de cassation, consciente de cette difficulté, a préféré ne pas ériger son arrêt de 2006 comme une décision de principe, en s'abstenant de le publier ? Il ne pouvait échapper à la Cour que de déclarer sans objet cet appel revenait à refuser tout recours effectif.

L'accès à un tribunal est un droit qu'il convient de protéger, ce qui n'est pas le cas si le recours contre ce type de décision n'est pas susceptible d'aller jusqu'à son terme.

Si le second degré de juridiction n'est pas une obligation au regard des règles européennes, le recours doit être effectif dès l'instant où il est décidé d'introduire l'appel dans le système judiciaire.

le second degré de juridiction n'est pas une obligation au regard des règles européennes, mais il doit être effectif dès l'instant où cette voie de recours existe

C'est dans ce contexte procédural qu'il a été demandé à la Cour d'appel de Rennes de se prononcer, le rapport ayant été déposé en cours de procédure d'appel.

Par arrêt du 31 mars 2015, la Cour d'appel de Rennes a statué dans le sens de l'arrêt de la Cour de  cassation de 2006, considérant que "s’agissant de l’appel d’une décision ayant refusé de procéder au remplacement d’un expert, le dépôt par l’expert de son rapport d’expertise a pour conséquence de rendre la procédure sans objet, les critiques du rapport d’expertise devant désormais être portées devant le juge du fond" (CA Rennes 31 mars 2015, n_ 14-04770, réf. cabinet 100915 100914).

s’agissant de l’appel d’une décision ayant refusé de procéder au remplacement d’un expert, le dépôt par l’expert de son rapport d’expertise a pour conséquence de rendre la procédure sans objet, les critiques du rapport d’expertise devant désormais être portées devant le juge du fond.

Il ne reste plus qu'à surveiller l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation sur cette question, même si le contentieux est, par définition, plutôt rare.

 

 

 

Auteur: 
Christophe LHERMITTE