Que faut-il pour se porter appelant incident ?

C'est à cette question que la Cour de cassation répond, par cet arrêt qui ne méritait pas une publication au bulletin.

Un appel avait été déclaré. L'appelant avait a priori ratissé large, en intimant l'ensemble des parties.

Il est vrai que qui veut faire les choses proprement limite son intimation.

Ainsi, si vous entendez uniquement contester la garantie à laquelle vous avez été condamné, mais sans remettre en cause les rapports entre le demandeur initial et celui qui vous a appelé en garantie, vous pouvez vous abstenir d'intimer le demandeur principal à l'encontre duquel vous ne concluiez pas, et qui ne concluait pas contre vous.

C'est mieux. C'est propre. A charge pour l'intimé d'élargir son intimation en assignant le demandeur principal, voire de faire un appel principal sous réserve de justifier d'un intérêt au sens de l'article 546.

Je me rappelle à cet égard un appel concernant plus d'une centaine de parties, et que j'ai limité à une seule partie, après avoir lu attentivement le jugement (parce que oui, pour faire un appel, il faut lire le jugement, ce qui au demeurant permet de s'assurer que certaines parties n'ont pas été oubliée dans l'entête, ou n'ont pas changé de qualité, etc.).

Mais quoi qu'il en soit, il est possible de sortir bretelles et ceintures, et de mettre tout le monde à la cause.

 

Dans l'affaire qui intéresse le présent article, l'appelant ne s'était pas embêté de ces considérations. Allez, oups ! tout le monde au bain !

Et un petit malin, intimé, avait tenté d'échapper à l'appel incident formé contre lui par un autre intimé.

Pour lui, cet appel incident n'était pas recevable dans la mesure où l'appel principal formé contre cet intimé appelant incident ne le menaçait pas : "qu'il en résultait que cet appel principal était insusceptible de modifier la situation du FIVA, de sorte que cet organisme, qui n'avait pas formé d'appel principal, n'était pas recevable à former un appel incident ou provoqué à l'encontre du jugement l'ayant débouté de son action exercée à titre subrogatoire".

Seulement, c'était oublier que cette menace de sa situation par l'appel principal est une notion que nous trouvons en matière d'appel provoqué. En effet, il est considéré que n'est pas recevable l'appel provoqué - qui découle de l'appel principal ou incident - d'une partie dont la situation n'est pas menacée par l'appel principal, ou si cet appel principal/incident tend à aggraver la situation, la condamnation, de la partie appelant provoqué.

Il aurait pu en être différemment su le jugement contenait plusieurs chefs distincts, et qu'une partie aurait interjeté appel de l'un d'eux puisque l'autre ne pouvait alors appeler des autres chefs contre un autre intimé que s'il existe un lien entre toutes les parties (Civ. 2e, 12 févr. 1991). Mais ce n'était pas le cas en l'espèce, de sorte que cette jurisprudence ne pouvait être invoquée.

La Cour rejette donc le pourvoi en ces termes (Civ. 2e, 3 novembre 2016, n° de pourvoi 15-24475, Non publié au bulletin) :

 

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Metz, 29 juin 2015), qu'ayant travaillé de 1976 à 2005 sur le site pétro-chimique de Carling, pour le compte de plusieurs employeurs, aux droits desquels vient la société Arkema France (l'employeur), Jean-Paul X... est décédé, le 25 mars 2008, d'un carcinome bronchique, affection reconnue d'origine professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie de la Moselle (la caisse) ; qu'après avoir accepté l'offre d'indemnisation par le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante( le FIVA), Mme X..., sa veuve, a engagé une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur à laquelle s'est joint le FIVA ; qu'une juridiction de sécurité sociale a rejeté leurs demandes ;

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de déclarer recevable l'appel incident du FIVA, alors, selon le moyen, qu'une partie à l'instance de premier degré qui n'a pas interjeté appel à titre principal contre un jugement n'est recevable à former un appel incident ou provoqué contre ce jugement que dans la mesure où l'appel formé par une autre partie est de nature à modifier ses droits de manière défavorable ; qu'au cas présent, l'appel principal contre le jugement ayant écarté la faute inexcusable de l'employeur exercé par Mme X..., qui avait été intégralement indemnisée par le FIVA, ne pouvait avoir pour effet de reconnaître une quelconque créance de nature indemnitaire à son bénéfice en raison de la maladie professionnelle de son époux ; qu'il en résultait que cet appel principal était insusceptible de modifier la situation du FIVA, de sorte que cet organisme, qui n'avait pas formé d'appel principal, n'était pas recevable à former un appel incident ou provoqué à l'encontre du jugement l'ayant débouté de son action exercée à titre subrogatoire ; qu'en jugeant néanmoins que l'appel incident du FIVA était recevable, la cour d'appel a violé les articles 548 et 549 du code de procédure civile, ensemble l'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 ;

Mais attendu que, selon l'article 549 du code de procédure civile, l'appel peut être incidemment relevé par l'intimé tant contre l'appelant que contre les autres intimés ;

Et attendu que l'arrêt constate que Mme X... a formé un appel général contre le jugement entrepris, mentionnant toutes les parties au litige ; qu'il énonce que le FIVA a par conséquent la qualité d'intimé et que ses demandes incidentes s'analysent dès lors en des conclusions d'appel incident ;

Qu'en l'état de ces constatations et énonciations, alors qu'il n'était pas contesté que le FIVA, partie intimée, avait succombé dans toutes ses prétentions, la cour d'appel a exactement décidé que l'appel incident du FIVA était recevable ;

 

Il suffisait donc à la partie d'être intimée et d'avoir succombé pour pouvoir se porter appelant incident contre un autre intimé.

 

Auteur: 
Christophe LHERMITTE