Il n'est pas publié, mais il pourrait faire un peu de bruit cet arrêt qui n'est pas inintéressant (Cass. 2e civ., 12 avr. 2023, n° 21-21.463) :

« Vu l’article 954, alinéa 3, du code de procédure civile :
6. Selon ce texte, la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.
7. Pour dire qu’elle ne statuera que sur les demandes présentées sur le fond du dossier, la cour d’appel énonce que les « dire et juger » et les « constater » ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi, que l’appelant sollicite l’infirmation de la décision en ce qu’elle rejette les moyens de nullité de l’assignation et d’irrecevabilité mais ne demande pas le prononcé de la nullité de l’assignation ou le prononcé de l’irrecevabilité des demandes.
8. En statuant ainsi, alors que l’appelant demandait, dans le dispositif de ses conclusions, de dire et juger que les irrégularités affectant l’exploit introductif d’instance constituent un élément substantiel et de fond susceptible d’entraîner la nullité de l’assignation, et de dire et juger que les modes de convocation et de représentation en justice en vue d’une sanction patrimoniale professionnelle, constituent des fins de non-recevoir en application de l’article 122 du code de procédure civile, la cour d’appel, qui était tenue d’examiner ces prétentions, a violé le textes et le principe susvisés.
»

Bon, pour commencer, nous ne saluerons pas la formulation du dispositif des conclusions, et nous comprenons que la cour d'appel ait pu être agacée, au point d'écarter ces "dire et juger" sans les examiner.

Et je crois bien que si j'avais été le juge, j'aurais eu la même approche.

Mais non ! En l'espèce, le dire et juger constitue une prétention.

Cela étant, attention ! Ce n'est pas un revirement, et il ne faudrait pas faire dire (et juger) à cet arrêt ce qu'il ne dit pas. Et ce n'est pas un arrêt publié.

Dans notre cas, l'appelant invoquait tout de même la nullité d'une part, et une fin de non-recevoir d'autre part.

Il n'était pas expressément demandé de prononcer la nullité ni de prononcer l'irrecevabilité, mais il y avait un peu de cela tout de même.

Ce n'est pas tant le dire et juger qui pose problème, que ce qu'on y met après.

Et bien souvent, on y met non pas des prétentions mais des moyens.

Conclure pour "Dire et et juger que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat", c'est émettre un moyen - qui constitue un chef critiqué - permettant de former une prétention qui sera la condamnation de l'employeur au paiement de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat.

C'est là le problème du "dire et juger". Bien souvent, il n'a pas sa place dans le dispositif, qui est récapitulaitf des prétentions, non des moyens.

Au demeurant, virer les moyens du dispositif permet d'alléger un dispositif qui autrement peut être lourd, trop lourd.

Il m'arrive très souvent, à la demande de confrères, de réécrire les dispositifs de leurs conclusions.

Et encore hier, en supprimant des moyens, je supprimais des tiroirs et sortais un dispositif comportant un principal, avec une demande de débouté, et un subsidiaire pour demander la garantie en cas de condamnation. Le dispositif initial contenait des subdivisions qui ne résultaient que de la présence inutile de moyens.

Alors, attention, ne prenons pas cet arrêt comme un revirement, ou une clémence de la Cour de cassation.

Il faut toujours soigner le dispositif de ses conclusions.

Et à ceux qui estiment que ce qui est demandé est trop exigeant, et qu'on en demande trop aux avocats, n'oublions pas ce qu'est le dispositif.

Il contient ce que la partie demande, et ce que la partie souhaite voir indiqué dans le jugement.

On ne peut exiger un dispositif de jugement parfait, permettant de passer à l'exécution sans difficulté si besoin, sans exiger la même chose du dispositif des conclusions. Celui-ci dépend de celui-là.

Le juge est tenu par ce dispositif, et il ne peut statuer au-delà de ce qui lui est demandé, ce qui est l'objet du litige (C. pr. civ., art. 4 et 5).

Le juge n'a pas à deviner ce que veut la partie ; c'est à la partie de s'exprimer correctement.

Et sérieusement, je pense que nous avons une formation suffisamment poussée pour être capable de rédiger un dispositif qui peut passer l'épreuve du feu, sans avoir à demander une réforme dite de "simplification"...

Cela me fait penser à ces candidats au bâtonnat qui proposent une réforme de la procédure d'appel, notamment pour une "clarification des exigences du dispositif". Mais alors, il faudrait aussi une clarification des exigences des dispositif du jugement ? Ca va être marrant lorsque l'huissier devra exécuter le jugement !

Bon, après, c'est un programme de campagne. Et on sait que les programmes servent seulement à être élu, pas à être appliqués... et là, ce sera tant mieux, car c'est d'une absurdité sans nom...

 

Auteur: 
Christophe Lhermitte