On sent un air de « déjà-lu » dans cet arrêt de cassation qui n’est pas voué à être publié (Cass. 2e civ., 30 sept. 2021, n° 20-15.674) :

« Vu les articles 542 et 954 du code de procédure civile et 6,§1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :
5. Il résulte des deux premiers de ces textes que l’appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu’il demande l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement, ou l’annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue à l’article 914 du code de procédure civile de relever d’office la caducité de l’appel. Lorsque l’incident est soulevé par une partie, ou relevé d’office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant, la cour d’appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d’appel si les conditions sont réunies.
6. Cette règle, qui instaure une charge procédurale nouvelle pour les parties à la procédure d’appel ayant été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626 publié) pour la première fois dans un arrêt publié, son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d’ appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.
7. Pour déclarer caduque la déclaration d’appel de Mme [H], l’arrêt retient, d’une part, que l’article 542 du code de procédure civile précise que l’appel tend, par la critique du jugement rendu, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel, d’autre part, que le fait que la déclaration d‘appel soit conforme aux prescriptions formelles, imposées à peine de nullité par l’article 901 du code de procédure civile, ne dispense pas l’appelant de remettre des conclusions qui déterminent l’objet du litige.
8. L’arrêt constate, ensuite, que le dispositif qui, aux termes de l’article 954 du code de procédure civile, récapitule les prétentions ne comporte aucune demande d’annulation, de réformation, d’infirmation totale ou partielle ou de confirmation partielle du jugement rendu en premier ressort et ajoute, enfin, que les mentions portées dans la discussion des prétentions et des moyens ne sauraient suppléer l’absence d’une partie des prétentions dans le dispositif devant les récapituler.
9. En statuant ainsi, la cour d’appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l’état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n’était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit le 11 février 2019, une telle portée résultant de l’interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d’appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l’application de cette règle de procédure, instaurant une charge procédurale nouvelle, dans l’instance en cours, aboutissant à priver Mme [H] d’un procès équitable au sens de l’article 6,§1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 6 mars 2020, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
»

Il présent pourtant un point qui m’interpelle, et qui me semble assez nouveau.

Il fait le lien entre les deux ères à savoir l’avant et l’après 17 septembre 2020.

  • Avant le 17 septembre 2020

On ne sanctionne pas l’absence de demande d’infirmation ou d’annulation dans les conclusions.

En revanche, si le dispositif ne contient pas de prétentions, la caducité est encourue.

  • Depuis le 17 septembre 2020

On sanctionne l’absence de demande d’infirmation ou d’annulation dans les conclusions, par la confirmation du jugement.

En revanche, si le dispositif ne contient pas de prétentions, la caducité est encourue.

En outre, l’absence de demande d’infirmation ou d’annulation, qui est assimilé à une absence de prétention, permettrait également d’introduire un incident devant le CME en caducité.

Pour l’appelant, cela ne change pas grand chose. Qu’il se tape une confirmation ou une caducité, ça ne va pas changer sur son moral.

Mais pour l’intimé, c’est autre chose.

Il pourra dégommer l’appel sans attendre de longs mois.

Surtout, il récupère un fusil à trois cartouches :

  1. saisine du CME en caducité
  2. déféré devant la cour sur la caducité
  3. demande de confirmation devant la cour d’appel

Je sens que cet arrêt, pourtant non publié, est de nature à multiplier les incidents ?

Personnellement, je suis d’autant plus enclin à introduire un incident que cet incident devient inévitable lorsque l’appel corrige le dispositif de ses conclusions, pour y intégrer une demande qui devient irrecevable en application de l’article 910-4.

Auteur: 
Christophe Lhermitte

Commentaires

Je ne comprends pas l'intérêt

Je ne comprends pas l'intérêt de cette double sanction des premières conclusions, dès lors que la caducité peut être prononcée jusqu'à la phase de débats (si la CA la relève d'office). 

Serait-ce seulement pour offrir à l'intimé qui a oublié d'invoquer la caducité, et n'a pas été sauvé par les juges qui ne l'ont pas relevé d'office, la possibilité de faire sanctionner l'absence de caractère conclusif des conclusions en phase de débats ? Une sorte de compensation in extremis de l'obligation de concentration des moyens tirés de la caducité devant le CME ? 

Je persiste à penser qu'il serait plus logique de répartir les sanctions de façon chronologique: caducité si l'erreur est dans les premières conclusions, confirmation si elle affecte les conclusions ultérieures.

Portrait de Christophe Lhermitte

Pour l'intimé, une caducité

Pour l'intimé, une caducité est intéressante car cela permet de se débarasser plus rapidement de l'affaire, sans attendre qu'elle vienne au fond.

Au surplus, s'il n'obtient pas satisfaction devant le CME, il peut aller en déféré, alors que pour l'arrêt, c'est un pourvoi qu'il faut envisager.

Cela étant, cette double sanction n'existera pas dans touts les cas. Cela suppose un dispositif qui ne contient ni demande d'infirmation ni prétention. Le cas est donc plus rare.

Mais cette subtilité complique encore la procédure d'appel, et il n'est pas exclu que certains confrères ou consoeurs considèrent que cette option concerne toutes les affaires.

Merci pour vos commentaire yes

Merci pour votre blog ! 

Merci pour votre blog ! 

L'avis d'un praticien chevronné fournit un éclairage bienvenu sur les coulisses de la procédure et permet de prendre une meilleure mesure des textes et de la jurisprudence :)

Portrait de Christophe Lhermitte

Et merci à vous pour son

Et merci à vous pour son alimentation en commentaires toujours pertinents ?

J'essaie d'apporter ma vision, qui est celle d'un praticien, avec nécessairement un parti pris, sur cette passionnante procédure civile.

Il faut juste excuser les nombreuses erreurs de frappe. Mais les articles, je les veux "sur l'instant", et je les rédige rapidement, sans effectuer de recherches. Pour les réflexions plus abouties, ou le "temps long", j'ai la chance d'avoir d'autres supports où m'exprimer.

Merci au passage à tous ceux qui fréquentent ce blog ??