red card

 

L'actualité au sens le plus large est l'occasion de parler procédure civile. C'est rare, donc il faut sauter sur l'occasion.

Qui n'a pas entendu que la sentence arbitrale ayant profité notamment à Monsieur TAPIE, lui accordant quelques centaines de millions d'euros, avait fait l'objet d'un recours devant la Cour d'appel de Paris.

Mais quel est ce recours, et quelles sont ses conséquences ? Quelle suite à cet arrêt sur le plan financier et procédural ?

Notamment, quid des conséquences sur les sommes versées, ce sur quoi les journalistes se sont interrogés sans a priori avoir trouvé la réponse.

Petit rappel donc des règles en matière d'arbitrage, et de procédure d'une manière générale...

  • Sentence arbitrale : quel recours ?

Tout d'abord, rappelons que la sentence arbitrale est susceptible de deux types de recours différents, à savoir d'une part l'appel, et d'autre le recours en annulation.

C'est ce que nous disent les articles 1489 et suivants du Code de procédure civile.

"la sentence arbitrale n'est pas susceptible d'appel sauf volonté contraire des parties (CPC, art. 1489)"

 

"la sentence arbitrale peut toujours faire l'objet d'une recours en annulation à moins que la voie de l'appel soit ouverte (CPC, art. 1491)"

Concernant l'appel, il n'est ouvert que si les parties l'ont prévu.

A défaut, et comme il n'est pas pensable de laisser une sentence arbitrale sans le moindre recours, il est prévu, dans des cas bien définis, de poursuivre l'annulation de la sentence. En gros, il s'agit alors de sanctionner le non-respect d'une règle tenant à la forme : incompétence, constitution irrégulière du tribunal, non respect du principe de la contradiction, absence de motivation, etc.

Dans ce cas, on ne réforme pas, on annule la sentence. Mais ce recours en annulation n'est ouvert que si l'appel n'a pas été prévu par les parties.

L'un des points communs de ces deux voies de recours est qu'elles sont régies par les dispositions concernant la procédure d'appel avec représentation obligatoire : conclusions dans les trois mois pour l'appelant, notification de la déclaration d'appel à la partie défaillante, délai de deux mois pour répondre à l'appelant, etc.

Mais ces deux voies de recours sont enfermées dans un délai strict, à savoir au plus tard dans le mois de la notification de la sentence.

Et là, on comprend rapidement que les parties n'étaient plus dans les délais pour contester cette sentence arbitrale, selon cette voie de recours ordinaire.

 

  • Et le recours en révision ?

Et c'est là qu'intervient une autre notion, bien souvent oubliée, en procédure civile : le recours en révision.

Le quidam le connaît en matière pénale, les médias ayant parfois l'occasion de parler de la révision d'un procès, d'une personne pourtant condamnée aux assises.

Mais ce n'est évidemment pas le même recours en révision.

Celui dont il est question ici, est bien plus modeste, et moins médiatique.

Mais il a son importance, la preuve !

Car c'est sur le fondement du recours en révision que cette sentence arbitrable a été discutée devant la Cour d'appel de Paris.

C'est maintenant qu'il faut ouvrir son petit livre rouge - ou bleu selon ses convictions, voire un petit tour sur légifrance pour les plus geeks d'entre vous - pour aller lire l'article 595 du Code de procédure civile :

"Le recours en révision n'est ouvert que pour l'une des causes suivantes :

"1. S'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue ;

"2. Si, depuis le jugement, il a été recouvré des pièces décisives qui avaient été retenues par le fait d'une autre partie ;

"3. S'il a été jugé sur des pièces reconnues ou judiciairement déclarées fausses depuis le jugement ;

"4. S'il a été jugé sur des attestations, témoignages ou serments judiciairement déclarés faux depuis le jugement.

"Dans tous ces cas, le recours n'est recevable que si son auteur n'a pu, sans faute de sa part, faire valoir la cause qu'il invoque avant que la décision ne soit passée en force de chose jugée."

"le recours en révision n'est ouvert (...) s'il se révèle, après le jugement, que la décision a été surprise par la fraude de la partie au profit de laquelle elle a été rendue"

Le recours en révision est une voie extraordinaire, au rebours de l'appel qui est une voie ordinaire.

C'est une voie de rétractation, c'est-à-dire qu'il est demandé à la juridiction qui a rendu la décision de l'anéantir. C'est comme la tierce opposition, ou l'opposition. On peut aussi faire état du référé rétractation qui permet de revenir sur une ordonnance sur requête, même s'il ne s'agit pas alors véritablement d'une voie de recours. Mais je m'égare, ce n'est pas le sujet...

Pour accueillir ce recours en révision, la Cour d'appel de Paris a retenu l'existence d'une fraude (Cour d'appel de Paris, pôle 1 - 1re chambre, 17 février 2015, n° 13/13278).

La Cour rétracte la sentence arbitrale, c'est-à-dire qu'elle anéantit cette sentence.

la Cour d'appel de Paris a anéanti la sentence arbitrale profitant à Monsieur TAPIE

 

  • Et alors, il rend les sous ou pas ?

Les journalistes se sont posé la question, et n'ont même pas pensé à m'interroger ! Dommage... pour moi... et un peu pour eux car j'avais la réponse... ou tout au moins, ma réponse.

Bien évidemment - pour moi - qu'il doit rendre les sous. C'est d'une évidence pour n'importe quel juriste ayant un minimum de connaissance en procédure civile.

l'anéantissement de la sentence arbitrale emporte restitution des sommes versées, avec intérêts majorés de cinq points deux mois après que l'arrêt deviendra exécutoire

La sentence est anéantie, ce qui vaut titre de restitution, avec au surplus intérêts à compter de la notification de la décision (Cass. , assemblée plénière, 3 mars 1995, Bull. civ. no 1). De plus, il y aura majoration des intérêts de cinq points, comme le prévoit l'article L313-3 du Code monétaire et financier, deux mois après que la décision deviendra exécutoire, soit deux mois après la signification. Sur quelques centaines de millions d'euros, ça va faire mal, très mal...

Je ne reviens pas ici sur le caractère exécutoire d'une décision, si ce n'est pour rappeler que, sauf si elle est exécutoire sur minute, ce caractère suppose non pas l'absence d'une voie recours suspensive, mais la notification d'une décision qui n'est pas susceptible d'une voie de recours suspensive... Je ne sais pas si je me suis bien fait comprendre car j'ai moi-même du mal à me comprendre ?!? Allez faire un tour du côté des articles 500 et suivants du Code de procédure civile, et tout sera limpide... ou pas.

Recours en révision sur recours en révision ne vaut. Mais la décision est susceptible des voies de recours de droit commun, et en l'espèce le pourvoi en cassation - dont il est certain qu'il sera exercé, compte tenu de l'enjeu et des points discutés, notamment sur le plan procédural.

Le pourvoi en cassation - tout comme le recours en révision du reste - est une voie extraordinaire de recours.

Or, comme le précise l'article 579 du Code de procédure civile, le recours par une voie extraordinaire et le délai ouvert pour l'exercer ne sont pas suspensifs d'exécution, sauf dispositions contraires.

l'arrêt rétractant la sentence arbitrale est susceptible d'un pourvoi en cassation, recours non suspensif d'exécution

Donc, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, qui fera immanquablement l'objet d'un pourvoi en cassation, n'est susceptible d'aucune voie recours suspensive.

L'arrêt qui emporte annulation de la sentence doit donc être exécuté.

 

  • Et s'il ne paie pas ?

Cela risque d'ailleurs de poser un autre problème de procédure devant la Cour de cassation, en raison du fameux article 1009-1 du Code de procédure civile.

En effet, les parties défenderesses devant la Cour de cassation ne manqueront certainement de se prévaloir de la radiation pour non exécutionde l'article 1009-1 du Code de procédure.

Par conséquent, sauf à démontrer l'existence de conséquences manifestement excessives, ou une impossibilité d'exécuter, les risques de radiation du pourvoi existent - ce sont les mêmes notions que l'on trouve aux articles 524 et 526 du Code de procédure civile.

Cela étant, on peut comprendre qu'il soit pour le moins difficile d'exécuter une décision qui entraîne la restitution de plusieurs centaines de millions d'euros... Mais difficulté est-elle impossibilité ?

Il est donc possible que les demandeurs au pourvoi invoqueront cette impossibilité de payer pour s'opposer à la radiation. Pour autant, cela n'a pas de conséquences sur le caractère exécutoire de l'arrêt, et sur le fait que les intérêts continueront à courir !!!

 

  • Et maintenant, sur le plan procédural, que pasa ?

Mais l'affaire n'est pas terminée pour autant.

La Cour d'appel de Paris a anéanti la sentence arbitrale. C'est une chose.

Mais, désormais, il faut bien que quelqu'un se prononce sur le fond du problème.

Au motif qu'il y a eu fraude reconnue, on ne va pas sanctionner celui qui en a profité en lui disant que c'en est fini pour lui ! Son problème, sur le fond, n'est pas résolu, et il faut bien que quelqu'un se prononce sur cette histoire.

Pour l'heure, seule la forme a fait l'objet d'une réponse : le recours en révision est recevable - les problèmes de procédure ayant été écartés -, et il est bien fondé - la fraude a été reconnue par la Cour d'appel -, donc on rétracte la sentence. C'est tout ce qui a été dit pour l'instant.

Les juges d'appel ne sont pas dessaisis, et ils devront, dans les conditions de l'article 601 du Code de procédure civile, se prononcer sur le fond du litige.

la Cour d'appel de Paris n'est pas dessaisie

Donc, rien n'est joué, encore, sur le fond. Et l'admission du recours en révision ne préjuge en rien du sort de Monsieur TAPIE, d'un point de vue purement financier, sur le problème concernant le CREDIT LYONNAIS et ADIDAS.

La Cour d'appel pourrait fort bien accorder à nouveau quelques centaines de millions de roros à Monsieur et Madame TAPIE (car si on parle de Monsieur TAPIE, Madame TAPIE est aussi concernée par l'affaire)... ou pas.

Cet arrêt du 17 février 2015 est une première étape dans l'affaire TAPIE, essentielle pour la poursuite d'une procédure qui n'est près de se terminer. Mais ce n'est qu'une étape, à aspect uniquement procédural.

l'arrêt du 17 février 2015 n'est qu'une étape procédurale

En effet, un pourvoi est plus que probable. Il est est tout aussi probable que la Cour d'appel de Paris, avant de statuer sur le fond du litige, au sens de l'article 601 du Code de procédure civile, préfèrera "surseoir à statuer" dans l'attente de la décision de la Cour de cassation.

Plus précisément, ce n'est pas véritablement un sursis à statuer - c'est pour ça que j'ai mis des guillemets plus haut - qui sera demandé, mais une suspension de l'instance - même si un sursis à statuer est une suspension de l'instance -, conformément aux dispositions de l'article 110 du Code de procédure civile : "le juge peut également suspendre l'instance lorsque l'une des parties invoque une décision, frappée (...) de pourvoi en cassation".

Cette suspension, exception dilatoire - au sens procédural, et non dans son acception négative -, et donc exception de procédure, devra être demandée au conseiller de la mise en état, avec un possible déféré, comme le permet l'article 916 du Code de procédure civile.

Et ici pourrait commencer un nouvel article, concernant les exceptions de procédure, la compétence du magistrat de la mise en état... mais ce sera peut-être plus tard.

 

Voilà ce que j'avais à dire, et plus précisément à écrire, sur le plan strictement procédural, sur une affaire qui fait parler d'elle pour d'autres motifs, parce que les sommes en jeu sont colossales, et qu'elles concernent un personnage qui a tout de même de la gueule.

 

 

 

 

Auteur: 
Christophe LHERMITTE

Commentaires

Merci beaucoup, vraiment.

En retour, un scoop : la lettre n° 9 est dans les starting-blocks, pour une remise dans les boîtes juste avant les vacances...

merci du plaisir quon trouve à vous lire;
merci d'exister et de dire à Macron and co que leur projet passé sous 49-3 doit être rendu caduc par effet necessaire de la violation du contradictoire.
, principe premier et recteur de ce qui fait la grandeur de l'avocat et donne au jugement rendu par les juges sa consistance et sa seule legitimité;

breton vous êtes et vous avez dans le sang l'esprit de la résistance et de la liberté

je vous souhaite de continuer à nagiguer sur les eaux turbulentes d''un ocean où certains tentent de nous faire sombrer

Un grand merci pour cet éclairage procédural.

Soyez assuré que si j'ai une postulation sur RENNES, je vous contacte fissa en espérant ne pas me faire doubler au portillon par mon adversaire du moment.

Votre bien dévouée,

J. Arnold

Quand un commentaire procédural se lit presque comme un roman, on ne peut que dire merci et bravo pour la clarté du propos.

Continuez, car nous nous délectons toujours autant de votre lettre d'information.

Votre bien dévoué.