Timing

... ou comment ne pas saboter son dossier en soulevant inopportunément un bon moyen de procédure.

C'est l'histoire d'une affaire, comme il y en a plein d'autres, mais dans laquelle la partie appelante s'aperçoit qu'elle dispose d'un moyen de procédure que nous pourrions qualifier de sérieux.

Fort de ce moyen de procédure, tiré de l'autorité de la chose jugée - dont il sera rappelé qu'il s'agit d'une fin de non-recevoir, la sanction étant l'irrecevabilité de la demande -, l'appelant dégaine dans ses conclusions 908 et en fait bien évidemment son argument principal pour aboutir à la réformation d'un jugement l'ayant condamné à payer plusieurs dizaines de milliers d'euros.

Et cette fin de non-recevoir - dont il faut aussi rappeler qu'elle est bien de la compétence de formation collégiale de la cour d'appel et non du magistrat de la mise en état - repose sur l'existence d'un jugement rendu en 2013.

Pour certains d'entre vous, la lecture de ces quelques lignes a allumé quelques petites lumières dans leur esprit, et ceux-là ont nécessairement compris où je voulais aller...

... donc, j'y vais.

Cet appelant, auquel n'avait pourtant pas échappé cet argument procédural intéressant, a cependant oublié d'assurer ses arrières, et de renforcer son moyen de procédure.

En effet, même si cet article ne date pas de l'entrée en vigueur du Nouveau Code de procédure civile, une disposition y est entrée il y a de cela plusieurs années maintenant - à une époque où je ne savais pas encore que je serai avocat un jour... ce qui en soi ne veut pas dire grand chose car je ne l'ai su que vers 2008... mais ce n'est pas le sujet et encore une fois je m'égare... Et cet article, c'est celui qui porte le numéro 528-1.

Et oui, lorsque l'on oppose à une partie adverse l'autorité de la chose jugée, il faut anticiper sa réaction, et savoir quelle pourra être son attitude en réponse. Et en l'espèce, le jugement n'étant pas irrévocable, pour n'avoir pas été notifié, et le jugement ayant été rendu il y a moins de deux ans, il a suffi à la partie qui subissait cette fin de non-recevoir de faire appel de cette décision pour que tombe la pertinence éventuelle de ce moyen de procédure.

Apu, pa'ti...

C'est ballot... et c'est un peu du gâchis de ne pas avoir sorti ce moyen de procédure au bon moment. L'appelant pouvait d'autant plus délayer qu'il s'agissait d'une fin de non-recevoir dont les lecteurs que vous êtes savent immanquablement qu'elle peut être soulevée en tout état de cause.

Au même titre des erreurs auxquelles nous pouvons assister - en l'état actuel des textes et de la jurisprudence* - il est absurde de soulever une caducité de la déclaration d'appel si l'appelant peut refaire un acte d'appel.

La procédure peut parfois exiger un bon timing, sous peine de grandes déceptions et de frustrations... sans compter que le client risque aussi de ne pas être very happy...

 

 

* je prends quelques précautions car rien ne permet d'affirmer que la caducité de la déclaration d'appel ne deviendra pas un jour une caducité d'appel, ni même que la Cour de cassation ne se prononcera pas un jour en ce sens, faisant une espèce de parallélisme avec l'intimé dont on a vu quel était le sort avec l'arrêt non publié du 4 décembre 2015 2014

Auteur: 
Christophe LHERMITTE

Commentaires

Mon Cher Confrère,

Je vous lis régulièrement et avec intérêt et, pour la première fois, je reste un peu sur ma faim...

En effet, vous ne précisez pas explicitement ce qu'aurait du "faire" ou "attendre" l'avocat qui a avancé prématurément son moyen de procédure (on peut le comprendre implicitement, mais je trouve que cela irait mieux en le disant).

Aussi, si vous me permettez, je me lance dans l'aventure (on espérant ne pas m'y perdre ...)

Le but étant de s'assurer que le jugement dont on entend tirer une "autorité de la chose jugée" ait bien ce caractère, c'est-à-dire soit définitif, il y a 2 possibilités :

- faire signifier le jugement : mais c'est sans doute mettre la "puce à l'oreille" de la partie adverse ...

- ou attendre l'expiration du délai de 2 ans (art. 528-1 du CPC) : à condition de pouvoir faire traîner la procédure en cours et retarder la clôture au delà des 2 ans.

Et puis, attention : cela ne concerne que les jugements contradictoires. Si, au contraire, le jugement dont on entend invoquer l'autorité de chose jugée a été rendu en l'absence de la partie adverse ("par défaut" ou "réputé contradictoire"), on risque fort de se voir opposer la caducité de l'article 478 du CPC pour défaut de signification dans le délai de 6 mois.

Voilà. Ça va ? Je ne me suis pas trompé ?

Mon cher confrère,

Vous avez entièrement raison, et doublement.

Etant dans mon raisonnement, je n'ai effectivement pas été très explicite et j'ai arrêté trop tôt mon propos.

Et vous avez également raison quant à la solution proposée.

Il s'agit effectivement d'un jugement entrant dans le champ d'application de l'article 528-1 du CPC. Il aurait fallu que l'appelant n'intègre pas cet élément dans ses premières conclusions 908, et attendent l'expiration du délai de deux ans pour le sortir dans de nouvelles conclusions.

Tant que le premier jugement n'était pas "irrévocable" - terme que je préfère à "définitif", même s'il est fréquemment utilisé, le jugement définitif étant pour moi le jugement de l'article 480, qui tranche le principal - le confrère, certainement content d'avoir vu cet argument procédural qu'était l'autorité de la chose jugée, a perdu de vue cet aspect du dossier. Le faire signifier était toutefois dangereux, car cela aurait mis la puce à l'oreille, et peu opportun dès lors que le délai de deux ans était proche.

Dommage pour lui, et tant mieux pour son adversaire.

En revanche, concernant l'article 478 du CPC, pas de crainte à avoir. La partie adverse ne pouvait invoquer le caractère non avenu d'un jugement de débouté lui profitant, et qui par conséquent aurait anéanti son moyen de procédure tenant à l'autorité de la chose jugée.

Merci à vous, et pour votre réaction à cet article.

CL

Mon Cher Confrère

Merci pour vos bons conseils.
Petite erreur à la dernière ligne de votre article où vous faites état d'un arrêt en date du 4/12/..2015.

Exact ! Je corrige.
Merci de votre attention... car vous êtes le seul à l'avoir vu ;-)

Votre bien dévoué confrère,

CL