Nous savons que les exceptions de procédure doivent être présentées in limine litis c'est-à-dire avant toutes défenses au fond ou fin de non recevoir.

C'est ce que nous dit l'article 74 du CPC.

Mais qu'en est-il si l'exception de procédure est contenue dans des conclusions ne saisissant pas le juge qui a compétence pour se prononcer sur ce moyen de procédure ?

La solution semble inédite, et elle n'était pas évidente.

Une partie soulève une exception de procédure. Mais elle formule ce moyen dans des conclusions au fond, et non dans des conclusions saisissant le magistrat de la mise en état qui a seul compétence pour statuer sur ce point de procédure.

On sait désormais que ce moyen, contenu dans des conclusions au fond, ne saisissait pas - plus - valablement le magistrat de la mise en état, la Cour de cassation ayant opéré un revirement de jurisprudence sur ce point.

Mais cette partie avait pris soin, néanmoins, de présenter cette exception de procédure in limine litis.

Par un arrêt très - trop ? - rigoureux, la Cour de cassation estime que nonobstant cette présentation, l'exception de procédure était irrecevable (Civ. 2e, 12 mai 2016
n° 14-28086, Publié au bulletin) :

Mais attendu que le juge de la mise en état n'est saisi des demandes relevant de sa compétence que par les conclusions qui lui sont spécialement adressées ; qu'ayant relevé que lors de la procédure de première instance, M. X... avait déposé, avant les conclusions aux fins d'incident saisissant explicitement le juge de la mise en état de l'exception d'incompétence, des conclusions qui formulaient à la fois cette exception de procédure et des demandes au fond, c'est à bon droit que la cour d'appel, sans dénaturer les premières conclusions, a retenu que l'exception d'incompétence était irrecevable, faute d'avoir été soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir ;

 

Il en résulte que le moyen de procédure contenu dans les conclusions au fond est considéré comme n'ayant pas été formé.

Ainsi, en reprenant ce moyen de procédure dans des conclusions d'incident saisissant le magistrat de la mise en état, mais après avoir conclu au fond, la partie s'est privée de la possibilité de se prévaloir de ce moyen de procédure.

Il est à noter qu'il s'agit de procédure de première instance, et non d'appel, dont on sait pourtant qu'elle est moins exigeante.

Les conseils des parties - ça veut dire les avocats - devront être particulièrement vigilants.

Ici encore, une occasion de plus leur est donnée de voir leur responsabilité engagée.

Avocat, un métier stressant par la procédure ? Mais non...

 

 

Edition du 16 juin 2016 : Je renvoie au très intéressant commentaire de Corinne Bléry dans le Recueil Dalloz de ce jour (Recueil Dalloz 2016 p.1290 De l'obligation, pour les avocats, de dédier les conclusions au magistrat instructeur - Ou de l'obligation de « soigner leur copie » !). Et je ne dis pas ça parce que Corinne Bléry cite le blogue dans son article. L'analyse qui est faite de ces deux décisions du 12 mai 2016 est vraiment très intéressante.

Auteur: 
Christophe LHERMITTE

Commentaires

C'est effectivement très sévère et rigoriste car le moyen de nullité n'avait certes pas saisi le bon juge mais il avait été formé in limine litis dans des conclusions (au fond) et il me parait difficile d'ignorer un tel moyen.
L'arrêt que vous avez cité par ailleurs dans votre blog (Civ 2°, 16 mars 2017 n°15-28167) il y a quelques jours est en revanche plus conforme me semble-t-il.
Vous voyez, je suis !
VBD

La Cour de cassation peut se montrer d'une extrême rigueur, comme en l'espèce.

Mais à côté de ça, nous trouvons aussi une (trop ?) grande souplesse, comme pour la signature des écritures (vice de forme), la notification préalable du jugement à l'avocat (vice de forme), le "temps utile" pour la communication des pièces, etc.

Pas facile à suivre, tout ça !

Merci pour ce commentaire.

CL

Vous évoquez la signature des écritures. La réforme de la procédure d’appel entrée en vigueur le 1 en septembre, aussi. Quid de la signature électronique? Faut il signer les conclusions de sa main Avant de les signifier par RP VA, ce qui vaut aussi signature ?

Merci de votre réponse.

Si en plus je peux participer à des petites satisfactions comme celle-là, m'en voici ravi :-)

ok

Je passe car mes cours de droit administratif et de procédure administrative sont trop loin derrière moi.

CL

Vous savez, moi, le droit administratif, je n'y connais pas grand-chose pour ne pas dire rien.

Cordialement,

CL

Ma chère consoeur,

S'il s'agit d'une irrecevabilité, elle n'a pas à être soulevée in limine litis.

Mais est-ce une irrecevabilité ? Une nullité ?

Surtout, un acte de constitution est-il susceptible d'irrecevabilité, de nullité ?

Le problème ne serait-il pas plutôt celui de la recevabilité de prétentions formées par une personne dépourvue du droit d'agir ? ou de la régularité des conclusions pour défaut de capacité ?

La question est intéressante, et plus complexe qu'elle n'y paraît.

VBD

CL

Si devant le JA il a été demandé aussi bien in limine litis le sursis à statuer dans l'attente d'une décision rendue par le conseil d'état, et en même temps au fond l'annulation d'une décision administrative contestée, quid quand le JA ne répond pas, mais juge selon la décision rendue du CE.

Et ce alors qu'il y a eu un débat sur la demande in limine litis du sursis à statuer, mais aucun débat au fond et contradictoire quand la décision du conseil d'état est intervenue, et que le JA a prononcé un jugement en se fondant uniquement sur cette décision rendue.

N'était ce pas plus logique qu'il statue d'abord sur la demande in limine litis du sursis à statuer,? Puis qu'ensuite qu'il juge au fond une fois la décision du conseil d'état rendue? si il a attendu cette décision, pour statuer sur le REP, quid du débat contradictoire au fond

Mon Cher Confrère,

Je me posais la question suivante à laquelle je ne trouve pas de réponse. Que ce passe-t-il lorsque au moment des premières conclusions le moyen de procédure n'existait pas mais qu'un élément nouveau intervient plus tard qui justifie de soulever une exception ? L'exception est-elle irrecevable ou peut-on arguer du fait qu'il n'était pas possible de la soulever plus tôt ?

Bonjour, serait il possible d'avoir réponse à cette question ?

Merci Confrère! C'est exactement la réponse que je cherchais, très bon article... vous m'évitez un stress inutile ;)

merci pour ces informations précieuses,
mais qu'en est-il lorsque après conclusions sur le fond et clôture des débats , le tribunal, dans son délibéré renvoie à la mise en état pour conclusions des parties sur la question de la compétence du Tribunal. il s'agit d'une action en matière de propriété littéraire et artistique pour laquelle des tribunaux sont spécialement désignés et le Tribunal saisi n'est effectivement pas compétent. faut il conclure in liminis litis devant le juge de la mise en état sur la seule compétence , ne pas évoquer le fond ?et demander le renvoi devant la juridiction spécialisement désignée. je suis vraiment embarrassée
pouvez vous me répondre
merci infiniment
vbd

Mon cher confrère,

Dès lors que nous sommes en communication électronique, la seule signature qui existe est la signature numérique.

La signature "manuscrite" ne serait au mieux que la copie d'une signature, et ne serait donc pas une signature.

Au passage, rappelons la jurisprudence de la Cuor de cassation qui regarde l'absence de signature comme un vice de forme. Cette jurisprudence, si elle ne concerne plus vraiment l'avocat qui connaît de la communication électronique, reste intéressante pour le défenseur syndical qui est toujours au papier.

Votre bien dévoué,

CL

Bonjour Maître,
Merci beaucoup pour cet article qui m'apaise, devant accompagner une connaissance au TGI très prochaine.
Si je peux me permettre une question, pour une assignation en référé au TGI, l'avocat a t'il pour obligation de signer ses conclusions ? S'il ne le fait pas, es-ce que le document est réputé nul ?

Merci par avance pour votre réponse.

Cordialement.

L.L

Conclu. non signées = nullité pour vide de forme obligeant à démontrer un grief. Donc, peu probable.

CL

Merci confrère pour cet article très intéressant.
qu'en serait il d'une exception soulevée in limine litis en cause d'appel sur la prétendue irrecevabilité de la constitution d'une société mise en liquidation judiciaire?!!!!!!
sachant que ladite société n'a fait que répondre à une convocation.
merci

Bonjour,
si possible, je souhaiterai un entretien téléphonique aux jour et heure qui vous conviendraient le mieux
Merci de votre réponse par mail pour que je piuisse appeler la personne dont vous aurez eu la gentillesse de me donner le nom.
Salutations
Michel Boyaud-Bernolles

Ma chère consoeur,

La prescription est un moyen, qui est une fin de non-recevoir. Elle peut dont être soulevée en tout état de cause, et est de la compétence du juge du fond.

Par conséquent, à mon avis, pas d'incident à soulever.

Quoi qu'il en soit, si vous introduisez un incident, il faut nécessairement conclure dans son délai, sauf cas particulier du 526.

VBD

CL

Bonjour,

Lorsque vous répondez, vous ne soulevez pas une exception de procédure. C'est la juridiction qui le fait.

En ce qui vous concerne, vous ne faites que répondre à la juridiction, de sorte qu'elle rejette ou retienne ce moyen relevé d'office.

Le renvoi à la mise en état ne change rien au fait que c'est la juridiction de fond qui a élevé la difficulté, et c'est donc à elle qu'il faut répondre.

VBD

CL

Bonjour Maître,
Suite à votre article, pourriez-vous m'apporter une précision dans le cas suivant :
- Suite à une ordonnance d'injonction de payer, le défendeur a formé opposition.
- L'application de l'Art 1408 du CPC ayant été sollicité par le demandeur lors de sa requête, l'affaire est renvoyée par le TC du ressort du défendeur devant le TC du ressort du demandeur.
- Le défendeur dans ses conclusions soulève in limine litis une exception d'incompétence territoriale.

Existe t'il un risque de procédure si le demandeur dans les mêmes conclusions :
- demande il limine litis au TC de déclarer l'irrecevabilité de l'exception et de se déclarer compétent dans un premier temps,
- puis dans un second temps, conclut sur le fond et demande au TC de statuer sur le fond ?

Merci beaucoup pour votre éclairage.
Bien cordialement,
Laurent

Cher M. Lhermitte,

Je voudrais votre opinion sur une question de compétence territoriale du TGI. Si le défendeur, après l'assignation, soulève le moyen de l'incompétence dans une assignation en référé devant le même tribunal considéré pas compétent, l'exception est-elle recevable?

Dans le cas d'exception recevable, le demandeur qui prends conscience de son erreur, doit-il adresser des conclusions au juge aussi?

Bien cordialement,

Sara

Mon cher Confrère,
Merci pour cet article fort clair.
Cependant je m'interroge sur la bonne manière de procéder dans le cadre d'une procédure d'appel prud'homale pour un appel postérieur au 1er septembre 2017.
L'appelant soutient une prescription de l'action, soulevée en première instance mais à laquelle le conseil n'a pas répondu dans son jugement, dans ses conclusions au fond. Cette demande ne me semble pas être soulevée in limine litis dans ses écritures.
Dois-je saisir le conseiller de la mise en état uniquement de la difficulté et conclure au fond séparément ce que je suis tenté de croire mais j'ai mentionné le contraire dans mes notes prises lors d'une de vos (très bonne) formations sur la nouvelle procédure d'appel en droit social (ne jamais conclure sur un incident sans conclure en même temps au fond au risque d'une irrecevabilité ai-je noté de façon fort peu claire...)
Vous remerciant par avance pour votre réponse.