Des conclusions qui complètent ou des conclusions qui répondent ?

La Cour nous donne ici l'occasion d'un arrêt intéressant, dont je ne vois qu'il aurait pu aller dans un autre sens.

Ah ! le hasard du calendrier. Et oui, il y a de cela deux semaines, je plaidais un incident (dans lequel j'ai eu hier une décision favorable) sur le même thème.

En substance, sans trop entrer dans le détails, il s'agissait d'un intimé qui avait conclu avant l'appelant (moi), et s'était porté appelant incident sur un chef, mais qui n'avait reconclu que bien après le délai de deux mois après mes conclusions d'appelant.

Je ne contestais pas en soi la possibilité de conclure de l'intimé.

Comme j'avais déjà eu l'occasion de le soutenir, une partie peut compléter ses conclusions, à tout moment de la procédure, sans être enfermée dans un délai. Mais seulement compléter ses écritures.

Ainsi, même passé le délai de deux mois de l'article 910 du CPC, la partie qui n'a pas conclu sur l'appel incident peut tout de même conclure, à condition toutefois que les conclusions ne répondent pas à cet appel incident.

C'est donc ce que je plaidais, refusant d'invoquer la jurisprudence extrême de certaines cours refusant toutes conclusions, quel que soit leur contenu.

Mais dans mon dossier, si certains points étaient recevables, il n'en allait pas de même de l'appel incident fait après l'expiration du délai de l'article 909, ni de la réponse faite à mon moyen d'irrecevabilité - non soumis au premier juge - de la demande fondée sur le vice caché.

Et c'est sur ce point que la Cour de cassation nous donne sa vision, que je ne peux que partager (Civ. 2e, 2 juin 2016, n° 15-12834, Publié au bulletin) :

 

Vu les articles 906, 910 et 912 du code de procédure civile ; 

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 21 mars 2014), que Mme X... a assigné M. Y... en mise en conformité de sa maison avec les règles de hauteur prévues par le plan local d'urbanisme et de ses plantations avec les règles de distance avec la limite séparative et en indemnisation de son préjudice de jouissance ; que M. Y..., ayant relevé appel du jugement ayant accueilli partiellement les demandes par déclaration du 23 mai 2012, a conclu le 3 août 2012 au soutien de son appel ; que Mme X... a déposé des conclusions d'intimé le 24 septembre 2012 par lesquelles elle a formé un appel incident ; que, le 29 novembre 2012, le conseiller de la mise en état a délivré un avis de clôture pour le 25 janvier 2013 ; que M. Y... a conclu le 5 décembre 2012, puis à nouveau le 27 décembre 2012 ; 

Attendu que, pour déclarer irrecevables les conclusions déposées les 5 et 27 décembre 2012, l'arrêt retient que l'intimée avait formé un appel incident le 24 septembre 2012 de sorte que l'appelant disposait d'un délai expirant le 24 novembre 2012 pour déposer ses conclusions ; 

Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si ces conclusions répondaient à l'appel incident de Mme X... ou si elles n'étaient pas destinées au moins en partie à développer l'appel principal de M. Y..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

sans rechercher, comme il le lui était demandé, si ces conclusions répondaient à l'appel incident de Mme X... ou si elles n'étaient pas destinées au moins en partie à développer l'appel principal de M. Y..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision

 

Il n'est pas inintéressant de noter la référence à l'article 912. En effet, il pourrait ressortir de cet article que dès les délais expirés, les parties ne concluent plus, sauf si l'affaire nécessitent de nouveaux échanges. C'est d'ailleurs en ce sens qu'à été rendue l'ordonnance me profitant, le Conseiller de la mise en état étant allé plus loin que je ne lui demandais.

 

Il faut donc retenir qu'à l'expiration des délais, une partie n'est pas nécessairement irrecevable à conclure au motif que le 910 serait expiré.

Il convient de s'attarder au contenu des conclusions.

En ce qu'elles répondent tardivement à un appel incident, ou à des conclusions de l'appelant, elles sont irrecevables.

Si elles complètent de précédentes conclusions, elles sont recevables.

Je ne vous livre pas davantage de mes réflexions, mais il y en a sur le sujet...

Auteur: 
Christophe LHERMITTE

Commentaires

Très belle analyse Maître, très intéressant la distinction entre des conclusions responsives et des conclusions pour compléter les précédentes. Vous m'avez fait découvrir cette subtilité procédurale. Un grand merci.

Merci à vous pour ce retour.

CL

Bonjour,

Nous ne pouvons nous contenter d'évoquer la jurisprudence, dans le sens "en parler". Il faut y avoir recours, et en ce sens, on l'invoque.

Donc, je maintiens le terme invoquer.

Merci.

CL

Tu as essayé avec Motulsky ?

J'ai également plein de vieux codes de procédure (parfois ils servent... et pas seulement pour faire office de pieds à mon meuble bas qui avait cédé après l'avoir trop chargé de dossiers... histoire véridique...).

Bien à toi.

C.

Bonjour,

Vous aviez écrit : "....’invoquer la jurisprudence ... "
N'est-ce pas ÉVOQUER la jurisprudence ...?
Sauf erreur, à ma connaissance, on INVOQUE les esprits mais pas la jurisprudence (bon, c'est peut-être un détail dirait-on ...!).

Merci !

ah non!

la matière est si complexe et parfois si nébuleuse qu´il est nécessaire d´invoquer plutôt les esprits que la jurisprudence. J´ai moi même tenté récemment une séance de spiritisme à l´aide d´un Ancien code de procédure civile transformé pour l´occasion en grimoire et figurez vous que le premier esprit à s´être présenté à la table, fut " L´esprit des Lois " de Montesquieu! Quelle soirée formidable nous avons passé !

Esprit es tu là?

passée...oups!