Vexé et rassuré.

Tels sont les sentiments qui m'animent en ce jour après avoir eu connaissance des deux avis rendus par la Cour de cassation le 20 décembre 2017.

Vexé ?

Ben oui, je n'étais même pas au courant de ces deux avis rendus par la Cour de cassation le 20 décembre 2017.

Je n'ai pourtant pas pris de vacances. Mais il m'ont échappé !

Il est vrai qu'ils n'apparaissent pas sur le site de la Cour de cassation. Ca n'aide pas...

Mieux, ils ne figurent même pas dans le calendrier des avis en cours, que je consulte régulièrement pour savoir à quoi il faut s'attendre.

Mais que fait donc celui qui s'occupe du site de la Cour de cassation ? Serait-il encore sur les pistes ou sous les cocotiers ?

Alors que l'avis du 5 mai 2017 en matière prud'homale était quasiment le jour même sur le site, ces deux-là n'y figurent pas alors qu'ils datent de plus de de quinze jours !

La faute aux vacances un peu décalées de cet hiver ?

Mais pourquoi suis-je vexé ?

Parce que, habituellement, bien souvent, parfois, j'arrive à obtenir des infos par des voies divers.

Mais là, rien !

Personne pour me transmettre ces deux avis   :-(

Et c'est à l'audience que plusieurs confrères, mieux informés, m'en ont parlé.

Alors, oui, j'avoue, je suis un peu vexé. Mais je vais m'en remettre. D'ailleurs, ça m'est passé.

Quand on cherche sur internet, on peut les retrouver... mais pas sur le site concerné à savoir celui de la cour de cassation.

 

Rassuré ?

Ceux qui ont eu le plaisir et le déplaisir d'assister à une des formations que j'ai pu donner jusqu'alors en procédure d'appel (la phrase est lourde et biscornue, mais je conserve), pourront constater que ce que je leur disais est avéré.

L'honneur est sauf, et je ne vais pas être déprécié aux yeux de ceux qui avaient apprécié mes interventions (je sais, de source sûre, qu'il y en a eu).

Si en plus d'être vexé, il avait fallu que je sois déshonoré, ça aurait fait beaucoup pour une seule journée ! C'est ma psy perso qui aurait eu du boulot.

Pour commencer, quel sont ces avis ? Je n'en cite qu'un, les deux étant rédigés dans des termes identiques. L'une des demandes émane de Paris, l'autre de Versailles.

 

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Demande d’avis

n° B 17-70.035

Juridiction : cour d’appel de Paris

Avis du 20 décembre 2017

N° 17021 P+B

R É P U B L I Q U E   F R A N Ç A I S E

COUR DE CASSATION

Deuxième chambre civile

Vu les articles L. 441-1 et suivants du code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile ;

Vu la demande d’avis formulée le 25 octobre 2017 par le premier président de chambre, président de la 3e chambre du pôle 1 de la cour d’appel de Paris, reçue le 25 octobre 2017, dans une instance opposant Mme X… à l’établissement public Aulnay Habitat, et ainsi libellée :

"1) La sanction encourue en cas d’appel dit "total", hors les cas autorisés, qui ne vise aucun chef du jugement expressément critiqué, est-elle une nullité pour vice de forme, en application de l’article 901, 4°, du code de procédure civile modifié par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, ou une irrecevabilité au regard des nouvelles dispositions de l’article 562, alinéa 1, dudit code, issues de ce même décret ?

2) Dans l’hypothèse où il s’agirait d’une fin de non-recevoir, celle-ci doit-elle être relevée d’office, par le président ou le magistrat désigné par le premier président ou par la formation collégiale, comme ayant un caractère d’ordre public, en application de l’article 125, alinéa 1, du code de procédure civile, ou ne peut-elle être soulevée que par les parties ?"

Sur le rapport de M. Sommer, conseiller, et les conclusions de M. Girard, avocat général, entendu en ses observations orales ;

MOTIFS :

L’article 901, 4°, du code de procédure civile dispose que la déclaration d’appel est faite par acte contenant, à peine de nullité, les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible.

La déclaration d’appel qui porte l’indication d’un "appel total" ne répond pas aux exigences de ce texte et encourt la nullité prévue par l’article 901 précité.

Cette nullité, qui ne sanctionne pas une irrégularité de fond, est une nullité pour vice de forme au sens de l’article 114 du code de procédure civile (Ch. mixte, 7 juillet 2006, pourvoi n° 03-20.026, Bull. 2006, Ch. mixte, n°6), qui ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité.

Elle peut être couverte par une nouvelle déclaration d’appel.

La régularisation ne peut pas intervenir après l’expiration du délai imparti à l’appelant pour conclure conformément aux articles 910-4, alinéa 1, et 954, alinéa 1, du code de procédure civile.

Par ailleurs, selon l’article 562, alinéa 1, du code de procédure civile modifié, l’appel défère à la cour d’appel la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément et de ceux qui en dépendent.

Il ne résulte de ce texte aucune fin de non-recevoir.

Les questions subsidiaires formulées par la demande d’avis sont dès lors sans objet.

En conséquence,

LA COUR EST D’AVIS QUE :

La sanction attachée à la déclaration d’appel formée à compter du 1er septembre 2017 portant comme objet "appel total", sans viser expressément les chefs du jugement critiqués lorsque l’appel ne tend pas à l’annulation du jugement ou que l’objet n’est pas indivisible, est une nullité pour vice de forme au sens de l’article 114 du code de procédure civile.

Cette nullité peut être couverte par une nouvelle déclaration d’appel.

La régularisation ne peut pas intervenir après l’expiration du délai imparti à l’appelant pour conclure conformément aux articles 910-4, alinéa 1, et 954, alinéa 1, du code de procédure civile.

Les questions posées au 2) de la demande d’avis sont dès lors sans objet.Fait à Paris, le 20 décembre 2017, au cours de la séance où étaient présents, conformément à l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire : Mme Flise, président, M. Sommer, conseiller rapporteur, Mme Brouard-Gallet, conseiller doyen, M. Pimoulle, Mmes Kermina, Maunand, Martinel, conseillers, Mme Pic, M. de Leiris, Mme Lemoine, M. Cardini, Mme Dumas, conseillers référendaires, Mme Parchemal, greffier de chambre.

 

Ces deux avis du 20 décembre 2017 ne sont pas une grande surprise.

Que la sanction du non respect du 4° de l'article 901 relève de la nullité pour vice de forme était une évidence. Cela est conforme à la jurisprudence ancienne de la Cour de cassation.

Au surplus, l'article 901 précise expressément que les mentions sont prescrites à peine de nullité.

J'ai toujours présenté l'article 901 de cette manière.

 

D'autre part, que l'irrégularité puisse être couverte par une nouvelle déclaration d'appel n'est pas davantage étonnante.

Nous pouvons au demeurant renvoyer à cet arrêt du 16 novembre 2017 selon lequel « la seconde déclaration d'appel ayant eu pour effet de régulariser la première déclaration qui était affectée d'une erreur matérielle, le délai de dépôt des conclusions, fixé par l'article 908 du code de procédure civile, a commencé à courir à compter de la première déclaration d'appel qui avait valablement saisi la cour d'appel » (Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-23796, Bull. civ.).

Cette décision rappelait cette possibilité de régulariser une erreur matérielle contenue dans une première déclaration d'appel, par une deuxième déclaration d'appel.

 

Quant au délai pour régulariser, cela ne choque pas que ce soit possible jusqu'aux conclusions de l'appelant puisque ce sont bien les conclusions qui fixent la dévolution de la cour d'appel.

C'est la position que je tenais. C'est au demeurant ce que j'avais déjà eu l'occasion de préciser dans des affaires dans laquelle nous disposions de ce moyen de procédure.

 

En l'état, donc, rien de bien nouveau apparemment, et rien de plus que l'on ne sache déjà...

... sauf que ces avis sont surtout intéressants par ce qu'ils ne disent pas.

Ils sont donc bien plus intéressants qu'il n'y paraît.

Mieux, ils peuvent être dangereux par la lecture trop simpliste qui pourrait en être faite.

La souplesse et la simplicité est d'apparence.

 

Mais je garderai ma lecture de ces avis - qui vaut ce qu'elle vaut, et qui n'est que la mienne - pour d'autres lieux que ce blog.

A noter que, bien évidemment, ces avis sont rendus par la deuxième chambre, présidée par Madame Flise.

chefsDonc, ces avis seront la jurisprudence de la Cour de cassation sur cette question... dont elle ne sera certainement jamais saisie.

 

Auteur: 
Christophe LHERMITTE

Commentaires

Mes chers confrères,

A mon avis, pas de contradiction entre les avis et la jurisprudence de la deuxième chambre.

2241 joue lorsque l'acte a été déclaré nul. Mais tant que la nullité n'est pas retenue, elle peut être couverte, par une déclaration d'appel qui ne sera pas celle qui aura introduit l'instance d'appel (c'est la première DA qui seule aura saisi la juridiction d'appel).

Après, à mon avis, cette régularisation ne serai possible que une déclaration d'appel recevable, c'est-à-dire former dans le délai, sauf à considérer, effectivement, que cette irrecevabilité est écartée par application de 2241. Sur ce point, un éclairage de la Cour de cassation serait intéressant. Personnellement, j'aurais tendance à considérer que l'acte rectificatif doit être formé dans le délai d'appel, mais rien n'est moins sûr au regard de la jurisprudence actuelle sous 2241.

A suivre...

CL

Bonne nuit et merci à toi !

Tu es insomniaque ou en plein Océan Indien ?

Amitiés,

C.

Cher confrère,

La Cour de cassation nous dit que ce n'est pas une irrecevabilité au regard de la question posée, dont le fondement juridique était le 901, non l'effet dévolutif.

Ces avis sont faussement rassurants il me semble.

Nous restons encore sur notre faim, et il faudra attendre quelques mois pour recueillir les premiers fruits dont, je l'espère, nous pourrons nous délecter...

Quant à la couverture de l'irrégularité, cela va dans le sens de cet arrêt de fin 2017 (16 nov. 2017 ?), à mon avis.

Bien à vous,

CL

Je me permets de compléter mon commentaire ci dessus avec la référence à l'arrêt de la 2ème chambre civile du 1er Juin 2017 (N°16-14300) rendu au visa des art. 2241 alinéa 2 du Code Civil et 121 du CPC et qui rappelle que l'acte de saisine de la juridiction même entaché d'un vice de procédure interrompt les délais de prescription comme de forclusion et en déduit que demeurait possible la régularisation de la déclaration d'appel qui, même entachée d'un vice de procédure, avait interrompu le délai d'appel ...

La 2ème Chambre reviendrait elle sur sa propre jurisprudence avec les deux avis du 20 Décembre ???

Cher Christophe, Chère Maud.

Je ne vois pas de contradiction entre ces avis et la jp de la 2ème chambre. A mon sens les solutions se complètent en ce sens que la mention Appel total est regardée par ces avis comme un pur vice de forme régularisable, aux conditions suivantes :

1. avant que la caducité de la première DA ne soit encourue ( soit à l´expiration du délai) et non pas constatée comme j´ai pu le penser

2. avant l´expiration du second délai d´appel né de l´interruption du premier délai d´appel désormais vu comme un délai de prescription au sens de 2241 du cc. La difficulté étant de situer dans le temps le point de départ de ce nouveau délai, étant précisé que même Mme FRICERO s´était émue dans un article du peu de précision de la Cour de Cassation sur cette question.

En fait la seule chose que vient nous dire la cour de Cass dans ces avis et qui est d´une logique implacable c´est que la régularisation ne peut pas intervenir après l’expiration du délai imparti à l’appelant pour conclure.

Bon je retourne me coucher...

Bien à vous.

Farid

Cher ami, cher Farid,

Que prospérité et santé s'abattent sur toi en 2018 ! En échange, je veux juste la même chose.

Cet avis s'inscrit à mon avis dans la jurisprudence de la deuxième chambre, sans rien enlever.

Et je partage ton avis quant à la différence à faire entre l'appel susceptible d'irrecevabilité et celui dont la recevabilité a été prononcée. Tans qu'un appel n'est pas déclaré irrecevable, il reste recevable. D'ailleurs, cette irrecevabilité est prononcée, non constatée.

Bien à toi,

C.

Chers Confrères, bonjour,

Tout d'abord, un grand merci à Christophe LHERMITTE pour ses billets et l'information de qualité qu'il accepte de diffuser auprès des confrères, toujours plus démunis face à ces réformes aussi stressantes qu'indigestes, dont le but ne cesse de laisser perplexe...

Sauf à faire une mauvaise lecture de l'avis et de vos commentaires, je crois comprendre qu'au cas d'un appel "total" , affecté donc d'une nullité de forme, sans régularisation par nouvelle DA ( que l'on soit encore ou non dans le délai ? ) mais dépôt de conclusions précisant expressément les chefs critiqués :
- sauf preuve d'un grief, la nullité de forme de la DA est " couverte ",
- le CME ne peut en connaître,
- seule la Cour a pouvoir de statuer sur cette nullité, mais quid de la preuve du grief ,
- finalement , déclaration de DA non conforme et conclusions de l'appelant pourraient bien se trouver in fine recevables ?

VBD

Ma chère consoeur,

Merci beaucoup pour ce retour.

L'avis ne dit pas tout à fait cela.

La nullité sera nécessairement de la compétence du CME en circuit ordinaire, s'agissant d'une exception de procédure (CPC, art. 771). Mais en pratique, cette nullité sera impossible dès lors que le grief ne sera jamais démontré.

Mais la difficulté est bien plus complexe.

Cependant, je ne dis pas tout sur ce blog... Il faut bien garder une petite part de mystère.

Cela étant, dans le cadre des formations dans lesquelles j'interviens, je donne tous les trucs.

VBD

CL

Cher Confrère,

A l'instar de mon excellent confrère Chalres TOLLINCHI, je m'interroge effectivement sur le délai de régularisation évoqué par les deux avis de la Cour de Cassation du 20 Décembre 2017 ...
L'arrêt du 16 Novembre 2017 ne rappelait en définitive qu'une seule chose, en présence de deux déclarations d'appel, le délai imparti à l'appelant pour conclure commençait à courir dès la 1ère ... ce qui relevait de la logique puisqu'à défaut, cette 1ère DA était caduque.
Rien ne permet de soumettre la régularisation d'une seconde DA compte tenu d'une éventuelle nullité affectant la première aux délais des art. 909 ou 905-2 du CPC.
Sauf erreur, un acte nul interrompt valablement le délai et la régularisation pourrait à mon sens intervenir dans le délai d'appel suivant la décision qui constate ladite nullité (nullité que nous nous abstiendrons tous de soulever faute de pouvoir démontrer un quelconque grief ...).
A suivre donc ...
Votre bien dévouée.

Cher Ami.

Tous mes voeux de procédure pour cette nouvelle année.

S´agissant de l´arrêt du Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-23796, Bull. civ. que tu cites, je m´autorise à penser qu´il reste d´actualité malgré les termes du nouvel article 911-1 qui prévoient que la partie dont l´appel a été déclaré irrecevable n´est plus autorisée à former un second appel contre le même jugement et les même parties.

A mon sens dès lors que le premier appel argué de nullité ou d´irrecevabilité n´ a pas encore été déclaré irrecevable par ordonnance du CME la réitération reste possible.

Qu´en penses tu?

Bien à toi

cher confrère,

aucune surprise pour 901 ! il n’y avait aucun suspense.
nous sommes tous d’accord, et je me suis bien gardé pour ma part de soulever cette nullité de forme faute de grief, la Cour ne pouvant bien évidemment pas la soulever d’office.

par contre, la réitération éventuelle de l'appel dans le délai des conclusions me surprend beaucoup au regard de 2241 al 2 du code civil...

enfin, la question de 562 me semble plus importante .

a savoir en effet si la cour est valablement saisie de chefs de réformation !

la cour de cassation nous dit que ce n est pas une fin de non recevoir.

j’avoue que je reste sur ma faim...

bien à vous.

charles tollinchi

.

Bonjour,

Pour l'instant, la Cour de cassation n'a rien rendu d'autres sur cette question précise de l'absence des mentions 901 4°.

VBD

CL

Bonjour,
je viens de régulariser une 2ème DA pour défaut de mentions des chefs de jugement expressément critiqués de la 1ère, dans le délai d'appel et dans le délai de trois mois pour conclure.

quelqu'un aurait-il une jurisprudence postérieure aux trois avis de la c cass de décembre 2017?