Depuis quelques temps, nous constatons que les problèmes de péremption sont plus nombreux.

Ou alors, c'est une illusion d'optique...

En la matière, nous retenons que des diligences intervenant dans des instances liées peuvent utilement être invoquées pour échapper à une péremption.

Cet arrêt peut nous faire douter.

Une instance en référé avait été engagée.

Puis, le juge du fond est saisi, en parallèle.

Chose extrêmement curieuse, et à mon avis impossible à faire, l'instance en référé et l'instance ont été jointes.

Alors, ça, déjà, ça m'épate !

Une instance en référé donne lieu à une ordonnance de référé, rendue par un juge unique, exécutoire de droit à titre provisoire, et dont le délai d'appel est de quinze jours. L'appel relève du circuit court de droit.

Une instance au fond devant le TGI donne lieu à un jugement, rendu par une formation collégiale, non exécutoire de droit sauf exception, et dont le délai est d'un mois. L'appel relève du circuit ordinaire.

Ca va donner quoi comme décision ce mélange impossible ???

Bref, autant espérer un rejeton des amours d'un zèbre et d'une girafe.

Mais apparemment, il n'y a que moi que ça dérange.

Mais revenons à nos moutons (on fait dans le règne animal aujourd'hui...).

Pour s'opposer à la péremption, la partie s'appuyait sur les diligences intervenus dans le cadre de l'instance en référé, en raison du "lien de dépendance direct et nécessaire entre l’instance en référé et l’instance au fond".

La Cour de cassation n'est pas sensible à l'argument (Cass. 2e civ., 11 avr. 2019, n° 18-14.223, Publié au bulletin) :

« Vu l’article 386 du code de procédure civile ;

Attendu que l’instance en référé prenant fin avec la désignation de l’expert et l’instance au fond n’étant pas la continuation de l’instance en référé, les diligences accomplies à l’occasion des opérations d’expertise, dès lors qu’elles ne font pas partie de l’instance au fond, ne sont pas susceptibles d’interrompre le délai de péremption ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que se plaignant de désordres affectant des biens immobiliers acquis en l’état futur d’achèvement, M. et Mme S… ont, en 2010, assigné la société Inter services réalisations, promoteur-vendeur (la société ISR), devant le juge des référés à fin de désignation d’un expert, puis, devant le tribunal de grande instance, en réparation du préjudice susceptible de résulter de ces désordres, les instances ayant été jointes sous le n° RG 10/15376 ; que dans les deux instances, la société ISR a appelé en garantie l’architecte, la société Archimed, son assureur, la Mutuelle des architectes français, et l’entreprise générale, la société Dumez Méditerranée aux droits de laquelle se trouve la société Travaux du Midi Provence (la société Dumez) ; qu’après rejet de la demande par le juge des référés, l’expertise a été ordonnée par la cour d’appel ; que l’expert ayant déposé son rapport et M. et Mme S… ayant conclu au fond, les sociétés Dumez et ISR ont soulevé la péremption de l’instance principale et de l’instance en garantie ;

Attendu que, pour constater la péremption de l’instance enregistrée sous le n° RG 10/15376 au tribunal de grande instance de Marseille à l’égard de toutes les parties, l’arrêt retient qu’il existe un lien de dépendance direct et nécessaire entre l’instance en référé et l’instance au fond puisque le rapport de l’expert sur les désordres invoqués est une pièce technique incontournable qui a pour but de permettre au juge du fond de statuer sur les demandes des parties, mais que l’assistance, par M. et Mme S…, aux opérations d’expertise, ainsi que la lettre adressée le 28 novembre 2011 par leur conseil à l’expert, ne constituent pas des diligences interruptives du délai de péremption qui a couru du 7 octobre 2011 jusqu’au 7 octobre 2013 ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, »

 

Chaque instance est distincte, de sorte que la partie doit veiller à faire diligence pour faire avancer l'affaire dans chaque instance.

La péremption requiert beaucoup de vigilance et d'attention.

Cette jonction d'instance avait d'ailleurs pu être un mauvais message porté aux parties.

D'une manière générale, la partie devra accomplir des diligences dans chaque instance, sans pouvoir se prévaloir de diligences dans une autre instance, quand bien même il existerait un lien de dépendance.

C'est le seul moyen d'échapper à une péremption qui, rappelons-le, éteint l'instance.

 

 

 

Auteur: 
Christophe LHERMITTE

Commentaires

Merci beaucoup pour cet apport.

Cordialement,

CL

Sur la jonction d'instances connexes entre une procédure en référé, et une autre au fond, concernant le même contrat de travail, celà s'est déjà vu, même s'il faut, effectivement considérer que c'est assez rare, la chambre sociale de Cour de cassation ayant cassé deux arrêts le même jour :
- Cass. Soc. 4 juin 2014, n° 13-17.099 (CA Aix-en-Provence, 7 mars 2013, RG 11/10943 ; CPH Aix-en-Provence, 12 mai 2011, RG 11/298) ;
- Cass. Soc. 4 juin 2014, n° 13-14.605 (CA Aix-en-Provence, 24 janv. 2013, RG 12/14441 ; Ord. référé-départ. CPH Aix-en-Provence, 21 juin 2012, RG 11/279).

Aussi,la Cour d'appel de renvoi (Nimes), le 24 mai 2016 a joint ces deux procédures (RG 15/02887 en référé, et au fond 15/02887), dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice.

Ces deux procédures (référé et fond) offre une excellente illustration de ce qu'en procédure, les notions
fondamentales (ici, compétence, saisine et autorité de chose de chose jugée) ne sont que les «pièces d'un
ensemble correspondant à un système de raisonnement, ordonné en vue d'une fin. Elles ne remplissent
leur rôle que par leur assemblage et n'ont, en réalité, d'existence qu'en fonction du tout dont elles sont
des éléments» (G. Wiederkehr, La logique du procès, in Mélanges Cohen-Jonathan, Bruylant, 2004, p. 1752)

Pour aller plus loin :
Nicolas Cayrol, RTD Civ. 2017 n°3, p. 727, «Du bon usage de l'option de compétence entre juridictions des référés et juridictions du principal» : Civ. 2e, 2 mars 2017, n° 15-29.022, Procédures 2017, n° 120, obs. Y. Strickler.