Obstination ? Volonté d'obtenir un revirement de jurisprudence ? Ignorance la plus complète de ce qu'est la jurisprudence de la Cour de cassation ?

J'avoue que je m'interroge...

Qui ignore encore aujourd'hui que l'intimé qui a été renvoyé dans les vestiaires n'avait pas le droit de revenir, même pour la second mi-temps ?

C'est pourtant ce qui amène à faire ce post.

Un intimé, déclaré irrecevable, avait cru pouvoir revenir faire un petit tour devant la Cour, et prendre des conclusions motivées.

Cela dit, il aurait eu tort de se gêner puisque... la cour d'appel lui a donné raison.

Encore une affaire dans laquelle les juges du fond font fi de la jurisprudence pourtant assise depuis quelques années de la Cour de cassation !

Lorsque nous étions en 2013, la question pouvait se poser. D'ailleurs, et je me mets en mode auto promotion, j'avais eu l'occasion d'écrire un article en juin 2013 (négligence de l'intimé et nouvelles conclusions de l'appelant: quelle rigueur dans la nouvelle procédure d'appel? Faut-il sanctionner l'appelant diligent ?) par lequel je considérais que l'intimé irrecevable l'était en tout état de cause, et qu'il ne retournait pas un droit de conclure même si l'appelant concluait à nouveau ou communiquait à nouveau des pièces.

Entre temps, la Cour de cassation a pu donner sa lecture, et elle va dans le sens de la rigueur : le silence de l'intimé dure jusqu'à l'issue de l'instance d'appel.

C'est cette jurisprudence que rappel la chambre commerciale de la Cour de cassation : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait préalablement relevé que le conseiller de la mise en état, par une ordonnance du 16 mars 2016 non déférée, avait déclaré irrecevables les précédentes conclusions des intimés, au motif que le délai pour conclure, prévu par l’article 909 du code de procédure civile, n’avait pas été respecté, ce dont il résultait que l’irrégularité de leurs premières conclusions privait les intimés de la possibilité de conclure à nouveau, fût-ce pour répondre à de nouvelles écritures des appelants modifiant leur argumentation, la cour d’appel, qui ne pouvait prendre en considération les conclusions des intimés, a violé les textes susvisés ; » (Cass. com., 23 oct. 2019, n° 17-31.551).

Il y en aura toujours pour discuter cette position, qui empêche l'accès de la partie au juge.

Mais il suffisait juste de ne pas tomber pour ne pas rester à terre, et accéder ainsi au juge... étant précisé qu'il est toujours possible de se faire assister dans les matières ou les procédures que l'on ne maîtrise pas suffisamment.

Ce n'est pas cette fois, et je ne crois pas qu'il en sera différemment dans un proche avenir, que la Cour de cassation reviendra sur cette jurisprudence.

Et il n'y aura pas dissension au sein des chambres sur cette question que l'on peut considérer comme classée.

Mais encore une fois, cet arrêt de cassation n'aurait dû exister, car le juge n'aurait jamais dû se prononcer en ce sens.

Il faudrait vraiment que le niveau en procédure d'appel soit relevé, car l'aléa judiciaire est vraiment trop important en procédure d'appel, et c'est bien regrettable. Et ce sont les parties qui subissent cet à-peu-près qui coûte cher.

Auteur: 
Christophe LHERMITTE

Commentaires

Bonjour,

Est-ce qu'on ne pourrait pas considérer (même s'il ne s'agissait pas de répondre à l'appelant mais aux juges) que cet arrêt du mois précédent (que vous nous avez présenté) a peut-être jeté le trouble ? http://www.conseil-en-procedure.fr/lintime-irrecevable-et-son-droit-a-se...

Après tout, même si les textes sont clairs, est-il complètement absurde d'alléguer que le délai pour répondre aux premières conclusions de l'appelant ne vaut, au nom du contradictoire, que sous réserve de moyens nouveaux ?
D'autant que comme vous le dîtes, sur un malentendu, ça peut marcher...comme en l'espèce.

En pratique, le client préfère-t-il que son avocat tente un coup a priori perdu d'avance, quitte à avoir une bonne surprise (qui ne tente rien n'a rien), ou que l'avocat arrête les frais le plus tôt possible (aller-retour inutile pour l'intimé devant la C. Cass.) ?

Quand c’est fini, c’est fini ; sauf si ça recommence ; mais ça dépend du juge.

Telle est la situation d’un intimé qui a omis de conclure dans le premier délai et qui se trouve confronté à un appel incident de l’un de ses co-intimés. L’étudiant qui lit son code (si, il y en a encore) dira que, si cet intimé ne peut plus répondre à l’appel principal, il dispose du délai prévu par l’article 910 pour répondre à l’appel incident.

Telle fut la position de la cour de Paris en un arrêt du 2 juillet 2015 (annoté par votre serviteur à la Gazette du Palais des 18-19 septembre 2015). (sans pourvoi ce jour)

Mais la cour de Versailles en prit l’exact contrepied en un arrêt du 12 novembre 2018 (18-03731), selon lequel : « … l’intimé ayant laissé expirer le délai qui lui est imparti par l’article 909 pour conclure et former, le cas échéant, appel incident, n’est plus recevable à soulever aucun moyen de défense ni, par là-même, à répondre sur les demandes qui seraient formées à son encontre par un co-intimé sur appel incident … ». (sans pourvoi à ce jour)

À suivre la solution versaillaise, une partie qui estimerait donc (pour quelque raison que ce fût) n’avoir pas à conclure sur un appel principal devrait néanmoins le faire (mais pour dire quoi ?) à seule fin de se préserver la possibilité de répondre à l’éventuel appel incident d’un co-intimé, dont elle pourrait éventuellement ne connaître la teneur que le dernier jour du délai de l’article 909. Simplicité quand tu nous tiens !

À notre connaissance, et sauf à ce que vos tablettes comportent des éléments que j’ignorerais, la Cour de cassation ne s’est pas (encore) expressément prononcée sur la question. Nous ne pouvons avancer qu’à tâtons.

Quelques arrêts peuvent peut-être nous guider partiellement.

Un arrêt de la 3ème chambre civile, du 2 juin 2016, n° 15-12834, laisse à penser qu’il convient de discriminer l’appréciation de la recevabilité des conclusions en fonction des différents objets qu’elles peuvent poursuivre concurremment [ « … en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si ces conclusions répondaient à l'appel incident de Mme X... ou si elles n'étaient pas destinées au moins en partie à développer l'appel principal de M. Y..., la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision »] . L’unité d’instrument n’emporte donc pas unicité de régime.

Un arrêt de la 1ère chambre civile, du 17 octobre 2018, n° 17-26354, nous apprend certes que l’appel incident d’un intimé ne préserve pas le droit d’appel d’un co-intimé retardataire au regard de l’article 909 [« …en statuant ainsi, alors qu'il n'y a pas d'indivisibilité entre l'action en remboursement de M. X... contre Mme Y... et l'action en responsabilité de celui-ci contre le notaire, de sorte que l'appel incident formé par Mme Y... n'avait pas conservé le droit d'appel du notaire, le conseiller de la mise en état a violé les textes susvisés » ].

Mais la formulation pourrait être trompeuse. Si le droit du retardataire de former appel incident sur l’appel principal semble effectivement perdu, l’arrêt ne paraît pas dire que le retard à répondre à l’appel principal interdit de répondre à l’appel incident (ni même de former un appel provoqué par ce seul appel incident).

Relevons par ailleurs que cet arrêt retient, à l’appui de sa solution, l’absence d’indivisibilité entre les actions de l’appelant à l’encontre de chacun des intimés. Il semble donc pour la Cour que, dans l’hypothèse inverse d’une indivisibilité, les termes du 1er alinéa de l’article 552 du code de procédure civile l’eussent emporté sur l’effet couperet de délai de l’article 909. Ne l’oublions pas.

Et restons prudents.