Quel plaisir que de lire les arrêts de cassation, dans un style inimitable !

Bon, il est vrai que cela demande parfois de s'y reprendre à plusieurs reprises pour bien comprendre ce qu'il en est.

Et qui n'a pas déjà eu un confrère ou une consœur qui manifestement a confondu les moyens au pourvoi et la teneur de l'arrêt, et nous oppose le moyen, alors que l'arrêt dit précisément l'inverse de ce qui est soutenu ? Ça, c'est assez drôle !

C'en-est-il terminé de cette rédaction unique ?

C'est ce que je me demande à la lecture de cet arrêt de la Cour de cassation que je reproduis en intégralité :

Arrêt n°2108 du 5 décembre 2019 (17-23.576) - Cour de cassation - Deuxième chambre civile - ECLI:FR:CCASS:2019:C202108

Cassation 

Demandeur(s) : Mme A... X...

Défendeur(s) : Mme B... Y... ; et autres


Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Dijon, 27 juin 2017), par acte sous seing privé du 28 octobre 2009, plusieurs actionnaires, parmi lesquels Mme X... épouse Z..., ont cédé l’intégralité des actions de la SAS Vert Import à la SAS FH Holding (la société).

2. Cette dernière ayant refusé de s’acquitter du solde du prix, les cédants l’ont fait assigner devant un tribunal de commerce. La société a sollicité, à titre reconventionnel, l’annulation de la vente.

3. Par jugement du 13 décembre 2012, la demande des cédants a été accueillie.

4. Par un arrêt, devenu irrévocable, du 23 septembre 2014, rectifié par un arrêt du 18 novembre 2014, une cour d’appel a infirmé ce jugement, annulé la cession pour dol et ordonné la restitution, par les cédants, des sommes perçues, et par les cessionnaires, des actions.

5. Par un jugement du 5 novembre 2014, un tribunal de commerce a ouvert une procédure de sauvegarde à l’encontre de la société et a désigné Mme Y... en qualité d’administrateur judiciaire.

6. Les 29 septembre et 9 novembre 2015, la société et ses mandataires ont délivré à Mme X..., sur le fondement de l’arrêt du 23 septembre 2014, deux commandements valant saisie immobilière portant sur diverses parcelles de vigne dont elle est propriétaire et l’ont assignée à une audience d’orientation.

7. Le juge de l’exécution a rejeté l’ensemble des contestations soulevées et ordonné la vente forcée de l’immeuble.

8. Un jugement du 22 novembre 2016, confirmé par un arrêt du 27 juin 2017, a prononcé l’adjudication des lots saisis. Le 5 décembre 2016, M. et Mme F... ont surenchéri du dixième pour chacune des adjudications.

9. Le 27 mars 2017, lors d’une instruction ouverte pour escroquerie au jugement et faux, un juge d’instruction a ordonné la saisie de la créance détenue par la société sur Mme X... selon les arrêts rendus par la cour d’appel de Rennes les 23 septembre 2014, 18 novembre 2014 et les décisions subséquentes. Cette ordonnance a été confirmée par un arrêt de la chambre de l’instruction de la même cour d’appel du 18 mai 2018. La société a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, qui a été rejeté par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 septembre 2019 (Crim. 25 septembre 2019, pourvoi n° 18-83.770).

10. Mme X... a saisi le juge de l’exécution d’une contestation de la surenchère en faisant valoir que la société ne détenait pas de créance en raison de la saisie ordonnée par le juge pénal.

Examen du moyen

Vu l’avis de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 7 août 2019 (Y19-80.988, n° 40003 D) sollicité en application de l’article 1015-1 du code de procédure civile :

Sur le moyen unique, pris en sa première branche Enoncé du moyen

11. Mme X... fait grief à l’arrêt de rejeter sa contestation relative à l’absence de créance de la société, de procéder à la vente sur surenchère des deux immeubles lui appartenant, de déclarer adjudicataires du lot n° 1 M. C... et Mme D..., et adjudicataire du lot n° 2 l’Earl E..., et de donner acte à la société de ce que le produit de la vente sera remis au commissaire à l’exécution du plan et qu’il ne sera utilisé qu’en concertation avec le ministère public alors qu’« une mesure de saisie pénale qui aurait été ordonnée malgré l’existence d’une procédure de sauvegarde doit produire ses effets jusqu’à ce que le juge qui l’a ordonnée en autorise la mainlevée ; que la cour d’appel de Dijon ne pouvait donc refuser de faire produire effet à une saisie pénale ordonnée par le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Rennes et qui n’avait pas fait l’objet d’une mainlevée, peu important que le débiteur saisi bénéficie d’une procédure de sauvegarde ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 706-145 et 706-147 du code de procédure pénale ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 706-144 et 706-153 du code de procédure pénale et l’article L. 622-21, II, du code de commerce :

12. Le prononcé d’une mesure de sauvegarde n’interdit pas que soit ordonnée une saisie pénale d’une créance, ni ne limite les effets d’une telle saisie préalablement ordonnée.

13. Le juge de l’exécution ne peut apprécier la validité de la saisie pénale au regard des règles relatives à la procédure de sauvegarde.

14. Pour, d’une part, confirmer le jugement du juge de l’exécution ayant rejeté la contestation de Mme X... relative à l’absence de créance de la société et procédé à la vente sur surenchère des deux immeubles appartenant à celle-ci, déclaré adjudicataires du lot n° 1 M. C... et Mme D..., adjudicataire du lot n° 2 l’Earl E..., et d’autre part, donner acte à la société de ce que le produit de la vente sera remis au commissaire à l’exécution du plan et qu’il ne sera utilisé qu’en concertation avec le ministère public, l’arrêt retient que si la validité d’une saisie pénale intervenue après qu’un jugement a ouvert à l’égard du saisi une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ne prête pas à discussion, la loi pénale étant d’interprétation stricte, il n’en n’est pas de même lorsque le titulaire de la créance bénéficie d’une procédure de sauvegarde, la saisie pénale ne pouvant faire obstacle à l’application des règles régissant la sauvegarde et ne pouvant s’appliquer valablement à la garantie d’une créance antérieure.

15. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

16. Mme X... fait le même grief à l’arrêt alors :

1°/ que « seule, la juridiction qui a le pouvoir d’ordonner la saisie pénale a celui d’en contrôler les conditions d’efficacité ; qu’il ne revenait donc pas à la cour d’appel de Dijon de refuser de prendre en considération une saisie pénale ordonnée par le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Rennes, motif pris de l’absence de consignation ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé les articles 706-154 et 706-155 du code de procédure pénale ; »

2°/ que « la consignation étant prévue dans l’intérêt du seul créancier, il appartient à celui-ci, le cas échéant, de faire constater par le juge compétent que la consignation n’a pas été faite par le débiteur, et non pas au débiteur de saisir ce juge pour se faire dispenser de la consignation ; qu’en jugeant le contraire, la cour d’appel a violé l’article 706-155 du code de procédure pénale  ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 706-143 et 706-144 du code de procédure pénale :

17. Un juge de l’exécution ne peut poursuivre la vente sur surenchère d’un immeuble, quand bien même l’audience d’orientation aurait fixé les termes de la vente sur adjudication du bien immobilier et une première adjudication aurait déjà été prononcée, lorsque la saisie pénale de la créance, cause de la saisie immobilière, a été ordonnée par un juge d’instruction postérieurement à la première adjudication. Dans cette hypothèse, la vente sur surenchère de l’immeuble ne peut avoir lieu que sur l’autorisation du juge des libertés et de la détention ou du juge d’instruction délivrée en application des articles 706-143 et 706-144 du code de procédure pénale, ce juge pouvant décider que la saisie pénale sera reportée sur la somme revenant au créancier dans le prix d’adjudication et consignée sans délai auprès de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués sur le fondement de l’article 706-160, alinéa 1, 2° du même code.

18. Pour confirmer le jugement du juge de l’exécution l’arrêt retient, d’abord, qu’en dépit des termes de l’article 706-155 du code de procédure pénale, le juge d’instruction n’a pas prononcé de dispense de consignation. Il ajoute qu’il n’est pas établi, ni même allégué, que Mme X... ait, depuis lors, procédé à la consignation, ou qu’elle ait sollicité auprès de la juridiction compétente d’en être dispensée. Il en déduit que celle-ci ne peut prétendre tirer bénéfice d’une mesure de saisie pénale dont elle refuse elle-même de remplir les obligations qu’elles lui imposent. L’arrêt retient, ensuite, qu’au moment où la saisie pénale a été ordonnée, la procédure de saisie immobilière avait déjà été validée par la cour d’appel de Dijon, qu’il avait, d’ores et déjà, été procédé à l’adjudication des biens concernés, et qu’ainsi, à supposer même la saisie pénale valable au regard des règles relatives à la procédure de sauvegarde dont bénéficie la société, elle ne saurait faire échec à la vente sur surenchère, mais verrait ses effets reportés sur le produit de cette vente, qui seul deviendrait indisponible.

19. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur la quatrième branche du moyen unique, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 27 juin 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Dijon ; Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Nancy ;


Président : M. Pireyre
Rapporteur : Me Martinel
Avocat général : M. Girard
Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié - SCP Spinosi et Sureau 


Je sens déjà naître en moi une certaine nostalgie.

Elle va nous manquer cette rédaction, qui me laissait parfois croire que j'étais balaize, lorsque j'arrivais, après plusieurs lectures, à comprendre les faits de l'arrêt.

Cette rédaction permettra-t-elle de comprendre avec une seule lecture ?

Nous verrons, mais ça enlève un peu du mythe et de l'obscur, et même du mystère, qui entourent la rédaction d'un arrêt de cassation.

Auteur: 
Christophe LHERMITTE

Commentaires

Mince, ça ressemble presque à mes conclusions habituelles !!

M'étonne pas ! T'es allé à bonne école !

Merci pour votre contribution éclairante.

Bien cordialement,

CL

Monsieur Pierre Mimin, honorable Premier Président Honoraire de la Cour d’Appel d’Angers, correspondant de l’Institut et Docteur en Droit, avait publié aux Librairies Techniques, au milieu du siècle dernier, un remarquable ouvrage sur « Le Style des jugements », en son temps couronnée par l’Académie des Sciences Morales et Politiques, dont nous ignorons s’il a bénéficié d’une édition récente.
J’en avais découvert, à la bibliothèque universitaire, un vieil exemplaire abandonné de tous, dont aucun professeur n’avait cru devoir nous parler. Depuis je le cherche partout et ne saurais trop conseiller à celui qui le trouverait chez un bouquiniste de ne le pas laisser échapper.
Dans l’édition de 1978, on y lisait encore : « Volontiers le public se figure la langue judiciaire comme un dialecte hermétique, tissu d'archaïsmes et d'idiotismes insaisissables aux simples mortels. C'est une erreur dont bénéficient tels qui, mal assurés dans l'art de la composition, ont intérêt à rejeter sur les règles du genre l'explication de leurs propres défaillances. En réalité, rien n'est plus intelligible, rien n'est plus limpide qu'un jugement bien rédigé ».
S’ensuivaient d’innombrables pages délicieuses à l’amateur de subtilité.
Nos réformateurs d’aujourd’hui qui seront oubliés demain devraient relire Mimin le soir à la veillée.