... car ça peut faire mal, très très mal...

Certainement un arrêt dont certains confrères vont faire leur miel.

Nous savons - et je l'ai rappelé dans l'ouvrage de moi-même Procédures d'appel... j'ai décidé de faire régulièrement de l'auto promotion sur ce blog... - que les "dire et juger", "constater", et autres formules de ce style ne sont pas des prétentions.

Or, dans le dispositif, il faut bien y mettre des prétentions.

Et c'est là que la Cour de cassation a frappé fort, alors que rien ne lui était demandé à cet égard. Car c'est d'office que la Cour de cassation a relevé ce moyen (Cass. 2e civ., 9 janv. 2020, n° 18-18.778) :

« Attendu que pour déclarer l’appel irrecevable, l’arrêt retient qu’il résulte de l’examen du dispositif des conclusions de Mme X qu’il comporte des demandes de « constater », « dire et juger », voire « supprimer », qui ne constituent pas des prétentions mais des rappels de moyens ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations qu’elle n’était saisie par l’appelante d’aucune prétention, la cour d’appel, qui ne pouvait que confirmer le jugement, a violé le texte susvisé ;
Et attendu qu’ensuite de la cassation prononcée sur le chef de l’arrêt déclarant l’appel irrecevable, le premier et le deuxième moyens sont devenus inopérants ;
Et vu les articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile, après avis donné aux parties en application de l’article 1015 du même code ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, l’arrêt rendu le 8 février 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Versailles, par voie de retranchement, mais seulement en ce qu’il a prononcé l’irrecevabilité de l’appel de Mme X ;
»

des demandes de « constater », « dire et juger », voire « supprimer », qui ne constituent pas des prétentions mais des rappels de moyens

qu’elle n’était saisie par l’appelante d’aucune prétention

Pour être tout à fait exact, les juges d'appel avaient bien vu qu'il y avait un loup.

Mais la cour d'appel l'avait traduit... en irrecevabilité d'appel, ce qui était un peu dérangeant...

Pour résumer, et la faire courte, si la partie met n'importe quoi dans son dispositif, et surtout omet d'y faire figurer des prétentions, l'appel est recevable. On ne voit pas en quoi il pourrait être irrecevable.

Mais alors, la cour n'est saisie d'aucune prétention.Par conséquent, sauf appel incident sur lequel les juges d'appel devraient se prononcer, la confirmation du jugement s'imposait.

C'est ce qu'auraient dû faire les juges d'appel, et c'est ce que l'intimé aurait dû soulever.

Reste à savoir ce qu'est une prétention et ce qu'est un moyen.

Pour l'expliquer simplement, disons que c'est comme une GPS. Votre destination, c'est votre prétention. Et pour arriver à cette destination, vous avez parfois plusieurs chemins possibles. Ce sont ces chemins qui sont les prétentions moyens*. Dans le dispositif de vos conclusions, inutile de préciser par où vous êtes passés. Il faut juste indiquer quelle est la destination de rêve pour laquelle vous sollicitez les juges d'appel.

* merci à notre consoeur qui a relevé l'erreur, que je corrige... et pour les esprits taquins, je précise que c'est bien l'erreur que je corrige...


Nous pourrions même nous interroger s'il n'y aurait pas là également un incident de caducité à soulever.

En effet, en l'absence de prétentions formées dans le délai pour conclure, ne peut-on pas considérer que l'appelant n'a pas régularisé des conclusions qui déterminent l'objet du litige au sens de l'article 910-1 ?

Cela vaudrait le coup, certainement, de soulever un tel incident, qui permet d'avoir une décision plus rapidement, sans attendre que ce soit la cour qui se prononce sur le fond.


Au passage, et comme je le rappelle dans Procédures d'appel (Dalloz, éd. Delmas express), le "débouter" est une une prétention. Il est parfaitement possible pour un appelant de demander la réformation, et le débouter de son adversaire. Le dispositif est alors conforme à l'article 954 du CPC, sans être obligé d'en faire des tonnes et de présenter un dispositif à rallonge qui tient sur 10 pages.

Assumez votre petit dispositif, qui peut être percutant malgré une apparence chétive !

Auteur: 
Christophe LHERMITTE

Commentaires

MCC,

Je dirais que le juge va faire le tri et prendra ce qui le saisit véritablement.

VBD

CL

Bonjour Cher Confrère,

Ils sont au top vaut article. Je me suis posé la même question savoir si représentation obligatoire par un avocat = postulation dans la réforme tant le texte me paraissait revenir en arrière.

Merci, bravo et bonne journée !

C'est moi qui vous remercie cher confrère

Belle journée à vous aussi.

CL

MCC, merci pour vos articles qui sont toujours si agréables à lire. Mais, je me pose une question.

Quid si le dispositif contient des "condamner/débouter" et aussi des "dire et juger"

Le juge n'est saisi de rien ou seulement des "condamner/débouter" ?