Lorsque je suis arrivé dans la profession d'avoué, je n'y connaissais rien en procédure civile (et quand je dis "rien", c'est rien du tout...).

Ce n'est pas le semestre en licence (3e année) sur la procédure civile qui m'avait laissé les souvenirs les plus marquants, ayant rapidement bachoté cette matière pour assurer le minimum syndical lors de l'oral.

Mais je me rappelle une chose, et c'est bien la seule, qui est le titre du premier chapitre que nosu aviosn abordé : "l'instance". Tout un programme... oublié aussi vite qu'il faut pour le dire..

Et dans mes premières années dans la profession d'avoué, tout jeune collaborateur stagiaire, je dévorais tout ce que je pouvais sur la procédure pour me mettre au niveau requis pour l'examen très exigeant qui nous permettait d'accès au Graal : le diplôme d'aptitude à la profession d'avoué !

Et je me souviens avoir lu une étude très intéressante sur... l'instance.

L'instance, c'est le sujet bateau, mais qui n'est pas nécessairement le plus facile d'accès, j'en conviens.

Il existe des nuances, et lorsque ces nuances ne sont pas faites, on peut dire des bêtises.


 

  • Première instance, instance d'appel, même combat !

 

Un confrère vient de me faire parvenir un arrêt sur déféré, et voilà ce que j'y lis (âmes sensible, s'abstenir !!!) :

"Le décret (2019-1333) du 11 décembre 2019 a notamment modifié l'article 907 du code de procédure civile en étendant la compétence du conseiller de la mise en état (ce par renvoi aux dispositions de l'article 789 relatif à la compétence du juge de la mise en état) à l'ensemble des fins de non recevoir et non plus seulement à celles limitativement énumérées à l'article 914 (irrecevabilité de l'appel, irrecevabilité des conclusions en application des articles 908 et 909 et irrecevabilité des actes de procédure en application de l'article 930-1).

Il résulte de l'article 55 du décret précité que la nouvelle compétence du juge de la mise en état et donc du conseiller de la mise en état (l'article 907 renvoyant à l'article 789) pour « 6° statuer sur les fins de non recevoir » est applicable aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020 ce qui est, en l'occurrence, le cas puisque l'instance d'appel a été introduite par une déclaration du 10 mars 2020."

L'instance, au sens du décret, pourrait donc être l'instance... d'appel.

En fait, ce serait l'instance comme on le veut !!!

Ne faut-il pas revenir aux bases ?

Pour moi, on ne peut comprendre comprendre l'instance si on ne fait pas un tour du côté de l'article 53, lequel nous dit :

"La demande initiale est celle par laquelle un plaideur prend l'initiative d'un procès en soumettant au juge ses prétentions.

Elle introduit l'instance."

Donc, pour fabriquer une instance, il nous faut une "demande initiale".

Et cette demande initiale, on la trouve où ?

Pas tréls loin, puisqu'il suffit de descendre un peu, à l'article 54 :

"La demande initiale est formée par assignation ou par requête remise ou adressée au greffe de la juridiction.".

Donc, pour introduire une instance, il nous faut une demande initiale qui se trouve dans une requête ou une assignation.

Dit-on un mot de l'appel ? de la déclaration d'appel ?

Ben non !!!

 

  • La déclaration d'appel et l'introduction de l'instance

 

901 ne nous dit que la déclaration introduit une instance.

Car il faut prendre l'instance dans son acception la plus large.

L'instance, qu'on le veuille ou non, suppose une requête ou une assignation. C'est l'acte d'assignation, et lui seul, qui va créer ce lien d'instance entre les parties.

Alors, d'où vien le fait que l'on qualifie l'appel d'instance ?

Il est vrai que l'acte d'appel introduit une instance. Mais une instance... d'appel, pas l'instance au sens large.

L'arrêt de la 2e chambre civile de la Cour de cassation sur l'application de l'article 2241 du Code civil n'est peut-être pas étranger à cette confusion.

En effet, la Cour de cassation a fait application de l'interruptif de l'article 2241 du Code civil à la déclaration d'appel.

Cet acte de procédure a donc été vu comme introduisant une instance.

Si cela est vrai, c'est, comme nous venons de le dire, une instance d'appel, et seulement une instance d'appel.

Elle introduit une instance d’appel, mais pas une instance au sens de l’article 53.

L'acte d'appel n'est ni une assignation ni une requête au sens strict, dès lors qu'elle n'est pas une demande initiale.

On peut évidemment déplorer - et je l'ai déjà écrit - que l'article 901 du CPC renvoie à l'article 54 ou 57. La déclaration d'appel est un acte de procédure à part entière, qui ressemble à une requête sans pour autant en être une.

Car cet acte d'appel, sauf rares exceptions - et on pense alors à l'appel motivé en matière d'exception d'incompétence - ne contient aucune "demande initiale".

Une déclaration d'appel ne créé aucun lien d’instance puisque, au contraire, il faut précisément que ce lien d’instance existe préalablement à l’acte d’appel.

On ne peut créer aucun lien d’instance avec une DA dès lors que même l’intimation d’une partie ne permet pas d’émettre des prétentions à son encontre s’il n’existait pas déjà ce lien d’instance… qui a supposé une assignation (ou une requête)...

Rappelons à cet égard qu'aux termes de l'article 547, un appelant peut intimer toutes les parties de première instance.

Comme l'a déjà jugé la Cour de cassation, son appel ne pourra être déclaré irrecevable au seul motif qu'il n'existe pas de lien d'instance entre l'appelant et la partie intimée.

En revanche, l'appelant ne pourra pas conclure contre cette partie si en première instance, n'a pas été créé un lien d'instance... sauf éventuelle évolution du litige permettant de faire une telle demande, nouvelle, contre cette partie.

Mais le seul fait d'intimer une partie ne sera pas de nature à créer un lien d'instance.

Cela démontre à plus suffire que cet acte d'appel n'introduit pas une instance au sens de l'article 53. Sinon, cet acte d'appel introduirait une instance entre les parties.

 

  • L'application dans le temps du décret du 11 décembre 2019

 

Aujourd'hui, nous en sommes à discuter de l'application de la loi dans le temps.

Le texte en discussion est l'article 55 du décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile qui précise que :

"I. − Le présent décret entre en vigueur le 1er janvier 2020. Il est applicable aux instances en cours à cette date.

II. − Par dérogation au I, les dispositions des articles 3 s'appliquent aux instances introduites devant les juridictions du premier degré à compter du 1er janvier 2020. Les dispositions des articles 5 à 11, ainsi que les dispositions des articles 750 à 759 du code de procédure civile, du 6° de son article 789 et de ses articles 818 et 839, dans leur rédaction résultant du présent décret, sont applicables aux instances introduites à compter du 1er janvier 2020.".

Au choix, donc, on prendrait l'acte d'assignation ou l'acte d'appel pour savoir quelles sont les pouvoirs juridictionnels du magistrat de la mise en état...

Nous pourrions donc avoir un conseiller de la mise en état avec de nouveaux pouvoirs alors que devant le tribunal, le juge de la mise en état n'avait pas ce pouvoir.

C'est absurde.

Il n'y a plusieurs instances introduites dans une même affaire.

D'ailleurs, nous relevons depuis quelques mois que cette notion d'instance est de plus en plus souvent abordée par la Cour de cassation.

C'est l'un des sujets du moment.

Ainsi, pour exemple, la Cour de cassation a pu nous dire que la seconde déclaration d'appel qui élargit l'intimation en cas d'indivisibilité n'introduit pas une instance. Qu'il en est de même de la seconde déclaration d'appel qui corrige la première déclaration erronée. La déclaration de saisine n'introduit pas non plus une instance, ce que certaines cours d'appel semblaient avoir oublié.

Bref, un acte d'appel n'introduit pas nécessairement une instance d'appel.

Quoiqu'il en soit, l'instance d'appel constitue une partie de l'instance qui se découpe en première instance, instance d'appel (en cas d'appel), instance en cassation (en cas de pourvoi), poursuite de l'instance d'appel en cas de cassation. Mais tout cela constitue la même instance.

D'ailleurs, nous pouvons aussi comprendre tout cela avec la notion "d'unicité de l'instance", ou avec le principe de concentration de l'arrêt Césaréo.

L'unicité de l'instance, qui existait en matière prud'homale, part du principe que les parties doivent régler leurs différends dans le cadre d'une instance unique, et oblige, dans le cadre de cette même instance, à former toutes les demandes dans la même instance, sans pouvoir introduire une nouvelle instance.

Si l'on considère que l'acte d'appel introduit une instance, cela signifierait que toute demande devrait être formée... en première instance, sans pouvoir être formée pour la première fois en instance d'appel. Et nous comprenons alors l'absurdité du raisonnement puisque, précisément, cette unicité d'instance a pour conséquent que la "demande nouvelle" n'existait pas en matière prud'homale.

En application de la jurisprudence Césaréo, le demandeur doit présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci. Cette jurisprudence n'est compréhensible que si l'on comprend que l'instance est à entendre dans son sens large, sans pouvoir la limiter à la première instance.

 

  • A quand un avis de la Cour de cassation ?

 

Il serait heureux que la Cour de cassation soit saisie lde cette question qui, étonamment, divise.

Personnellement, lorsque j'ai pris connaissance du décret du 11 décembre 2019, je n'ai pas pensé une seule seconde qu'une interprétation aurait pu exister quant à la lecture de l'article 55. Je n'y ai pas consacré beaucoup de temps dans le cadre des formations que j'ai pu dispenser.

Au demeurant, Madame N. Fricero, qu'il n'est pas besoin de présenter, avait elle-même, dès début 2020, dans la revue Procédures, précisé qu'il fallait retenir la date de l'assignation. Cela me paraissait conforme, et ne faisait pas débat.

C'était sans compter sur l'imagination fertile qui peut naître dans des esprits qui ne sont pas à l'aise avec les notions de procédure comme celle de l'instance.

Je ne comprends pas bien pour quelles raisons la Cour de cassation n'a toujours pas été saisie de cette question. Je vais régulièrement voir ce qu'il y a sur le feu, et je n'ai pas vu que cette question doit être traitée dans le cadre de la procédure pour avis.

Il n'y a pas de honte à demander un avis à la Cour de cassation, et cela aurait pu éviter le gros bazar qui s'est mis en place en 2020, avec des ordonnances rendues par des CME qui n'avaient aucune pouvoir juridictionnel, et des arrêts sur déféré dans ces procédures dans lesquelles le déféré n'était tout simplement pas ouvert.

D'une manière générale, au demeurant, je reste étonné du peu de demandes d'avis, alors que la procédure d'appel est tout de même relativement complexe, et que de nombreuses questions restent en suspens.

Au lieu de cela, nous voyons des aberrations sortir des cours d'appel...

 

  • Et maintenant, que vais-je faire ?

 

Nous continuerons encore à lire des décisions qui accordent excessivement des pouvoirs juridictionnels au CME.

Dans quelle mesure les CME ne se laissent pas influencer par les avocats qui les saisissent de ces points de procédure ?

Le problème pourrait déjà être réglé si les avocats eux-mêmes se dispensaient d'induire les CME en erreur.

Mais par le sacro-saint "on ne sait jamais ! par sécurité !", on fait n'importe quoi... et on se tire une balle dans le pieds car on laisse une procédure bancale, qui pourra aboutir à une cassation de l'arrêt par voie de conséquence, après que la Cour de cassation aura cassé l'ordonnance pour excès de pouvoir, ou l'arrêt sur déféré pour le même motif...

Cela étant, même moi, à force de lire ces inepties, j'en viens à douter, alors même que ce doute, je ne l'avais pas il y a un an.

Je me dis : "Est-ce que la Cour de cassation pourrait faire une telle lecture de l'article 55 ???"

Je suis gagné par le doute. Et pourtant, je reste convaincu que cette lecture est la bonne, et que c'est la date de l'assignation, non celle de l'acte d'appel, qu'il faut prendre en considération.

Et ce faisant, tout est beaucoup plus logique ! Et la logique est une notion qui a sa place en procédure !

 

Auteur: 
Christophe Lhermitte

Commentaires

"C'était sans compter sur l

"C'était sans compter sur l'imagination fertile qui peut naître dans des esprits qui ne sont pas à l'aise avec les notions de procédure (...)."

Les mauvaises langues lecteurs assidus de votre blog auront compris que ceci vise principalement mais non exclusivement les conseillers de cours d'appel xp

Portrait de Christophe Lhermitte

... mais non exclusivement,

... mais non exclusivement, effectivement... wink

:):):)

:):):)

"Comme l'a déjà jugé la Cour

"Comme l'a déjà jugé la Cour de cassation, son appel ne pourra être déclaré irrecevable au seul motif qu'il n'existe pas de lien d'instance entre l'appelant et la partie intimée." C'est là où le bât blesse.
Un retour en arrière : Tu dis :"Car cet acte d'appel, sauf rares exceptions - et on pense alors à l'appel motivé en matière d'exception d'incompétence - ne contient aucune "demande initiale"." On pourtrait considérer que l'appel contient une demande de réformation et/ou annulation des chefs de jugement critiqués. Le CPC n'exige pas que cette requête soit motivée (sauf exceptions), mais que cette motivation soit developpée dans les conclusions 908 à peine de caducité.

J'ai le cas, que je t'ai envoyé et que j'ai commenté : https://descartes-avocats.com/la-transaction-et-linstance/ d'une transaction conclue 1 an avant l'introduction d'une demande en première instance et plus de 2 ans après la DA. Si le premier juge s'est pris les pieds dans le tapis, le CME pourrait sans doute trancher la FNR liée à l'ACJ survenue avant l'introduction de l'instance d'appel...

Qu'en penses-tu ?

Portrait de Christophe Lhermitte

La DA ne contient pas une

La DA ne contient pas une demande, à mon avis, mais annonce la couleur.

La demande d'annulation et de réformation, au demeurant, n'est aps une prétention au fond, même si sa présence dans un dispositif est un préalable indispensable pour, précisément, former des prétentions au fond. C'est l'amuse-gueule, obligatoire avant de passer à ce ui constitue véritablement le repas.

je ne sais pas si je réponds à tes interrogations indecision